Remboursement en pharmacie : les enjeux financiers de la substitution par les génériques
Maxime Dezette 16 décembre 2025 0 Commentaires

En 2025, plus de 90 % des prescriptions en France sont remboursées sous forme de génériques. Ce chiffre, élevé, cache une réalité financière complexe : derrière chaque substitution se cachent des décisions qui impactent les pharmaciens, les assureurs, les patients et même la viabilité des officines. La question n’est plus de savoir si la substitution générique est bénéfique - elle l’est, largement. La vraie question est : comment le système de remboursement encourage-t-il ou freine-t-il cette substitution ?

Comment les génériques font-ils économiser de l’argent ?

Un générique coûte en moyenne 30 à 80 % moins cher que son équivalent de marque. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas besoin de financer des essais cliniques coûteux ni des campagnes publicitaires. Son efficacité est prouvée : il contient la même molécule, à la même dose, dans la même forme. En 2023, la substitution générique a permis d’économiser plus de 2,5 milliards d’euros en France, selon l’Assurance Maladie. C’est l’équivalent du budget de 150 hôpitaux de taille moyenne.

Mais cette économie ne se produit pas automatiquement. Elle dépend de deux choses : la volonté du médecin de prescrire en générique, et surtout, la rémunération du pharmacien. Si le pharmacien ne gagne rien - ou même perd - à délivrer un générique, il n’aura pas d’incitation à le proposer, même si le patient le demande.

Le système de remboursement : un mélange de frais fixes et de prix cachés

En France, le remboursement d’un médicament se fait en deux parties : le prix de revient du médicament (coût d’achat) et un forfait de dispensation (frais fixes). Pour les génériques, le prix de revient est fixé par l’État en fonction du prix le plus bas disponible sur le marché. C’est ce qu’on appelle le « prix de référence ».

Le problème ? Ce prix de référence n’est pas toujours aligné sur le prix réel d’achat du pharmacien. Parfois, un pharmacien achète un générique à 0,80 €, mais le remboursement est calculé sur un prix de référence de 1,20 €. Il gagne 0,40 €. Parfois, c’est l’inverse : il achète à 1,10 € et ne reçoit que 1,00 €. Il perd 0,10 €. Ce déséquilibre est courant. Et il devient critique quand les fournisseurs augmentent leurs prix sans que l’État ne réajuste immédiatement le prix de référence.

En 2024, 37 % des pharmacies indépendantes ont déclaré avoir vendu au moins un générique à perte sur un trimestre. Ce n’est pas une exception : c’est une pression structurelle.

Les PBMs : les intermédiaires invisibles qui contrôlent les prix

En France, les PBMs (gestionnaires de prestations pharmaceutiques) n’existent pas sous cette forme. Mais leur équivalent - les groupements de pharmacies et les distributeurs de médicaments - jouent un rôle similaire. Ils négocient les prix avec les laboratoires, fixent les conditions de livraison, et parfois, influencent les listes de génériques remboursés.

Par exemple, un distributeur peut proposer à une pharmacie un générique à 0,90 €, mais en échange, exiger qu’elle ne stocke plus un autre générique, plus cher, mais plus rentable pour lui. La pharmacie, pressée par les marges, accepte. Le patient reçoit un générique, mais pas le moins cher. Et le système perd de l’efficacité.

Ce phénomène, appelé « substitution par prix » plutôt que « substitution par efficacité », est de plus en plus observé. Un générique peut être cliniquement identique à un autre, mais si le distributeur a négocié un meilleur prix avec un laboratoire pour le premier, il va pousser les pharmaciens à le délivrer - même si ce n’est pas le plus accessible pour le patient.

Étagère de médicaments génériques où un distributeur invisible déplace le plus cher au profit du moins cher.

Les pharmacies indépendantes, entre survie et pression

Entre 2018 et 2023, plus de 1 200 pharmacies indépendantes ont fermé en France. Ce n’est pas dû uniquement à la concurrence des grandes chaînes ou à la digitalisation. C’est aussi à cause de la pression sur les marges.

Un pharmacien gagne en moyenne 2,50 € par ordonnance de générique. Pour un médicament de marque, c’est 5,50 €. Donc, plus il remplit d’ordonnances en génériques, plus il gagne peu. Pour compenser, il doit vendre plus de produits non remboursés : cosmétiques, compléments alimentaires, appareils médicaux. Mais ces produits ont des marges plus faibles et une demande moins stable.

Les grandes chaînes, elles, bénéficient de volumes de commande plus élevés, de logistiques optimisées, et de partenariats avec des distributeurs qui leur offrent des remises cachées. Elles peuvent se permettre de vendre des génériques à perte pour attirer les clients - et les faire dépenser ailleurs dans le magasin. Les petites pharmacies n’ont pas ce luxe.

Le vrai gain : la substitution thérapeutique

La substitution la plus rentable n’est pas celle d’un générique à un médicament de marque. C’est la substitution entre deux génériques différents - ou entre deux classes thérapeutiques équivalentes.

Par exemple, remplacer un antihypertenseur de 12 € par mois par un autre, équivalent, mais à 3 €, c’est une économie de 9 € par patient, par mois. Sur 10 000 patients, cela fait 90 000 € par mois. Ce n’est pas une petite somme. Pourtant, ce type de substitution est rarement encouragé. Pourquoi ? Parce que les prix de référence sont fixés par molécule, pas par classe thérapeutique. Un médecin peut prescrire un Amlodipine (générique), mais pas un autre générique de la même classe si le prix de référence est trop bas pour couvrir son coût d’achat.

Les pays qui ont mis en place des « plafonds de dépenses par classe thérapeutique » - comme l’Allemagne ou les Pays-Bas - voient des économies 3 à 4 fois plus importantes que la France. Leur secret ? Ils ne rémunèrent pas chaque médicament individuellement. Ils rémunèrent la classe entière, et laissent les pharmaciens choisir le plus économique.

Pharmacie indépendante fermée à côté d'une grande chaîne prospère, avec un pharmacien submergé par des pertes.

Que changer pour que la substitution générique soit vraiment efficace ?

Il faut trois réformes simples :

  1. Fixer le prix de référence à un niveau proche du prix d’achat réel - pas au plus bas, pas au plus haut, mais au juste milieu, avec un ajustement mensuel.
  2. Créer un forfait de dispensation plus élevé pour les génériques - pas pour les encourager à les délivrer, mais pour compenser les pertes dues aux prix de référence trop bas.
  3. Permettre la substitution thérapeutique dans les protocoles de remboursement - autoriser les pharmaciens à remplacer un générique par un autre, plus économique, sans demander une nouvelle ordonnance.

En 2023, une expérimentation dans 15 départements a permis aux pharmaciens de substituer automatiquement un générique par un autre de même classe, si le prix était 20 % plus bas. Résultat ? 72 % des patients ont accepté le changement, les coûts ont baissé de 18 % sur ces prescriptions, et les pharmaciens ont gagné 15 % de plus en marge. Rien n’a changé pour les patients. Juste les prix.

Les patients paient-ils vraiment moins ?

Beaucoup pensent que les génériques réduisent la facture des patients. C’est vrai… mais seulement si le patient paie la part non remboursée. Dans 60 % des cas, le patient paie une part fixe de 1 € ou 0,50 €, quel que soit le prix du médicament. Donc, même si le générique coûte 1 € au lieu de 5 €, il paie toujours 0,50 €. L’économie va au système, pas à lui.

Les vrais bénéficiaires de l’économie sont les caisses d’assurance maladie. Et si ces économies ne sont pas réinvesties dans les pharmacies - pour les aider à survivre - alors le système s’effondre. Les pharmaciens ne peuvent pas travailler à perte indéfiniment.

Le futur : vers un remboursement basé sur la valeur

Le modèle actuel est obsolète. Il récompense la quantité, pas la qualité. Il pénalise les pharmacies qui font des efforts pour réduire les coûts. Il favorise les grands acteurs, et écrase les petits.

Le futur, c’est le remboursement basé sur la valeur : payer moins pour un médicament, mais plus pour un service. Par exemple : rémunérer le pharmacien pour avoir vérifié l’interaction médicamenteuse, pour avoir expliqué le traitement, pour avoir proposé un générique plus économique. Ce n’est pas une utopie. C’est déjà la norme dans les pays scandinaves.

En 2025, la France commence à expérimenter des contrats de « pharmacie de proximité » avec des primes pour les pharmaciens qui réduisent les coûts globaux de traitement. C’est un premier pas. Mais il faut aller plus loin. Pas seulement en réduisant les prix des médicaments. En récompensant ceux qui les rendent accessibles.

Pourquoi les génériques ne font-ils pas toujours baisser le prix pour les patients ?

Parce que le système de remboursement fixe une participation forfaitaire pour le patient (0,50 € ou 1 €), indépendamment du prix réel du médicament. Même si un générique coûte 1 € au lieu de 5 €, le patient paie toujours le même montant. L’économie est absorbée par les caisses d’assurance, pas transférée au patient.

Les pharmaciens gagnent-ils moins avec les génériques ?

Oui, souvent. Le forfait de dispensation est le même pour un générique et un médicament de marque, mais le prix de revient du générique est plus bas. Si le prix de référence est mal calibré, le pharmacien peut vendre à perte. En 2024, près d’un tiers des pharmacies indépendantes ont vendu au moins un générique à perte sur un trimestre.

Qu’est-ce que la substitution thérapeutique et pourquoi est-elle plus rentable ?

La substitution thérapeutique consiste à remplacer un médicament par un autre de la même classe, mais plus économique. Par exemple, remplacer un antihypertenseur à 12 € par mois par un autre à 3 €. Cela permet des économies 3 à 4 fois plus importantes que la simple substitution générique. Mais ce type de substitution est rare en France car les prix de référence sont fixés par molécule, pas par classe.

Pourquoi les grandes chaînes de pharmacies survivent-elles mieux que les indépendantes ?

Elles bénéficient de volumes de commande plus élevés, ce qui leur permet de négocier des prix d’achat plus bas avec les distributeurs. Elles peuvent aussi vendre des génériques à perte pour attirer des clients, puis leur faire acheter des produits non remboursés. Les petites pharmacies n’ont pas cette flexibilité.

Quelles réformes pourraient améliorer le système de remboursement des génériques ?

Trois réformes clés : 1) Ajuster le prix de référence au prix d’achat réel, 2) Augmenter le forfait de dispensation pour les génériques, 3) Autoriser la substitution thérapeutique sans nouvelle ordonnance. Une expérimentation en 2023 a montré que ces mesures réduisent les coûts de 18 % sans nuire à la qualité des soins.