Huile de poisson et oméga-3 : ce que prouvent réellement les études sur la santé cardiaque
Maxime Dezette 24 novembre 2025 0 Commentaires

Vous avez peut-être entendu dire que prendre de l’huile de poisson protège le cœur. C’est ce que disent les publicités, les pharmaciens, et même certains médecins. Mais entre les études qui vantent ses bienfaits et celles qui affirment qu’elle ne sert à rien, où trouver la vérité ? En 2025, la réponse n’est plus aussi simple qu’on le pensait.

Les oméga-3, c’est quoi au juste ?

Les oméga-3 sont des graisses essentielles que votre corps ne peut pas fabriquer tout seul. Les deux formes les plus importantes pour le cœur sont l’EPA (acide eicosapentaénoïque) et le DHA (acide docosahexaénoïque). On les trouve surtout dans les poissons gras : saumon, maquereau, sardines, hareng. Une portion de 100 grammes de saumon cuits, c’est environ 2 grammes d’EPA et de DHA réunis. Les plantes comme les noix ou l’huile de lin contiennent aussi des oméga-3, mais sous forme d’ALA, que votre corps convertit très mal en EPA et DHA - moins de 5 %.

Les suppléments d’huile de poisson, eux, sont conçus pour concentrer ces deux acides gras. Mais là où ça se complique, c’est que tous les suppléments ne sont pas pareils. Certains contiennent seulement de l’EPA, d’autres un mélange d’EPA et de DHA, et les versions en vente libre ont souvent moins de 500 mg d’EPA+DHA par gélule. Pour atteindre la dose utilisée dans les études sérieuses, il faut en prendre 4, 6, voire 8 par jour.

Les études qui ont tout changé

En 2018, une étude nommée REDUCE-IT a fait trembler le monde de la cardiologie. Elle a suivi plus de 8 000 personnes à haut risque de crise cardiaque, déjà sous statine. Elles ont pris 4 grammes par jour d’EPA pur (Vascepa). Résultat : une réduction de 25 % des événements cardiovasculaires majeurs - infarctus, AVC, décès cardiaque. C’était la première fois qu’un supplément montrait un effet aussi clair depuis des décennies.

Pourtant, deux ans plus tard, une autre étude, STRENGTH, a utilisé la même dose (4 grammes), mais avec un mélange d’EPA et de DHA. Résultat ? Aucun bénéfice. L’étude a été arrêtée prématurément. Pourquoi ? Les chercheurs pensent que le DHA pourrait annuler certains effets bénéfiques de l’EPA. C’est une piste sérieuse, mais encore non confirmée.

En 2023, la revue Cochrane - la référence mondiale en analyse des preuves - a passé en revue 79 essais, avec plus de 110 000 participants. Conclusion : pour la plupart des gens, les suppléments d’oméga-3 n’ont presque aucun effet sur les maladies du cœur. Même si on prend 1 gramme par jour, comme dans l’étude VITAL, le risque global d’infarctus ou d’AVC ne baisse pas.

À part un petit détail : chez les Noirs américains, l’étude VITAL a montré une réduction de 77 % des infarctus. Pourquoi ? Des variations génétiques dans les gènes FADS1 et FADS2 semblent rendre certaines personnes plus efficaces pour utiliser les oméga-3. Ce n’est pas une généralité, mais ça montre que tout le monde ne réagit pas de la même manière.

Prescription ou vente libre ? La différence qui fait tout

Il y a deux mondes totalement différents : les suppléments en pharmacie et les produits en grande surface.

Les suppléments en vente libre (gélules de 300 à 500 mg d’EPA+DHA) sont bon marché - entre 10 et 50 € par mois. Mais ils ne contiennent pas assez d’oméga-3 pour avoir un impact sur le cœur. Même en prenant 4 gélules par jour, vous atteignez à peine la dose minimale. Et la qualité ? En 2023, Consumer Reports a testé 35 produits. 12 dépassaient les limites d’oxydation - c’est-à-dire que l’huile était rance. Résultat : pas d’effet bénéfique, et un goût de poisson ranci en bouche.

En revanche, Vascepa, le médicament à base d’EPA pur, coûte environ 300 € par mois. Il est prescrit uniquement aux patients à très haut risque : diabétiques avec triglycérides élevés, ou personnes ayant déjà eu un infarctus. Il est approuvé par la FDA depuis 2020 pour réduire les événements cardiovasculaires. Mais ce n’est pas un complément alimentaire. C’est un traitement, comme une statine.

Autre médicament : Lovaza. Il contient à la fois EPA et DHA. Il est approuvé pour traiter les triglycérides très élevés (plus de 500 mg/dL), mais pas pour prévenir les crises cardiaques. Une nuance importante, souvent mal comprise.

Deux étagères de pharmacie : d'un côté des suppléments bon marché, de l'autre une ordonnance médicale avec un chiffre de réduction de risque.

Que recommande vraiment l’AHA ?

L’American Heart Association (AHA) a mis à jour ses recommandations en 2019. Voici ce qu’elle dit vraiment :

  • Les suppléments d’oméga-3 ne préviennent pas les premiers infarctus chez les personnes en bonne santé.
  • Il n’y a pas de preuve qu’ils empêchent une deuxième crise cardiaque.
  • En revanche, ils pourraient réduire les décès liés aux maladies cardiaques de 10 % chez les patients déjà atteints, à la dose de 1 gramme par jour.
  • Pour les personnes atteintes d’insuffisance cardiaque, ils pourraient aider à réduire les hospitalisations.

Et surtout : l’AHA insiste lourdement sur une chose - obtenir vos oméga-3 par la nourriture, pas par les gélules. Deux portions de poisson gras par semaine, c’est suffisant pour la plupart des gens. Et ça, c’est prouvé.

Les risques qu’on oublie

Prendre des oméga-3, c’est sans danger… à petite dose. Mais à haute dose (plus de 3 grammes par jour), des risques réels apparaissent.

La première menace : la fibrillation auriculaire. Une méta-analyse publiée dans JAMA Cardiology en 2022 a montré que les personnes prenant plus de 4 grammes d’EPA par jour avaient un risque accru de 0,4 % de développer un rythme cardiaque anormal. C’est peu en pourcentage, mais en termes absolus, sur des milliers de patients, ça représente des cas réels.

Deuxième risque : les saignements. Les oméga-3 fluidifient le sang, un peu comme l’aspirine. Ce n’est pas un problème pour la plupart des gens. Mais si vous prenez déjà un anticoagulant (warfarine, rivaroxaban, etc.), ça peut devenir dangereux. Les médecins doivent le savoir avant de prescrire.

Et puis il y a les effets secondaires courants : remontées acides, diarrhée, haleine de poisson. Environ un tiers des personnes arrêtent les suppléments à cause de ça.

Un repas de poissons gras entouré de cœurs flottants, tandis qu'une personne avale des gélules avec une tête de dégoût.

Que faire en 2025 ?

Voici ce que vous devez retenir :

  1. Si vous êtes en bonne santé et que vous mangez du poisson deux fois par semaine : vous n’avez pas besoin de supplément. Les études ne montrent aucun bénéfice.
  2. Si vous avez déjà eu un infarctus, ou si vous êtes diabétique avec des triglycérides élevés : parlez à votre médecin. Vous pourriez être éligible à Vascepa, mais seulement si vous êtes à très haut risque.
  3. Si vous avez des triglycérides très élevés (≥500 mg/dL) : Lovaza est une option, mais pas pour prévenir les crises cardiaques - seulement pour baisser les triglycérides.
  4. Si vous voulez essayer un supplément en vente libre : choisissez un produit certifié par une tierce partie (comme NSF ou USP), vérifiez la teneur en EPA+DHA (pas juste en huile de poisson), et évitez ceux qui sentent le rance.
  5. Ne remplacez jamais un traitement prescrit (statine, bêta-bloquant, etc.) par un complément. Les oméga-3 ne sont pas une alternative aux médicaments éprouvés.

Le vrai gagnant, ici, c’est le poisson. Pas la gélule. Un saumon grillé, une soupe de sardines, une salade de hareng - c’est plus savoureux, plus naturel, et ça vient avec du sélénium, de la vitamine D, et des protéines de haute qualité. Les études le disent clairement : les bienfaits viennent du régime alimentaire, pas de la pharmacie.

Et les plantes ? Les algues ?

Les végétaliens ou ceux qui n’aiment pas le poisson ont souvent recours aux suppléments d’algues. Elles contiennent du DHA, et parfois de l’EPA. Les études sont encore limitées, mais elles montrent que ces sources peuvent augmenter les taux sanguins d’oméga-3. Elles ne sont pas aussi efficaces que le poisson pour réduire les triglycérides, mais elles sont une bonne alternative si vous ne consommez pas d’animaux. Le DHA issu d’algues est le seul oméga-3 végétal qui a un impact direct sur le cerveau et le cœur.

En résumé : les oméga-3 ne sont pas une pilule magique. Mais ils ne sont pas non plus une arnaque. Leur pouvoir dépend de qui vous êtes, de votre état de santé, et de la forme que vous prenez. La science a évolué. Il est temps que vos décisions évoluent avec elle.

L’huile de poisson peut-elle réduire le cholestérol ?

Non, l’huile de poisson n’a pas d’effet significatif sur le cholestérol LDL (le "mauvais" cholestérol). Ce sont les statines qui le font. En revanche, elle réduit les triglycérides - un autre type de graisse dans le sang - de 20 à 30 % à haute dose. Ce n’est pas la même chose que le cholestérol, mais c’est aussi un facteur de risque cardiaque.

Est-ce que les oméga-3 empêchent les crises cardiaques ?

Pour la plupart des gens, non. Les études de grande envergure montrent qu’ils n’empêchent pas les premières crises cardiaques. Mais chez les personnes déjà atteintes de maladie cardiaque, une dose élevée d’EPA pur (Vascepa) peut réduire le risque de nouvelles crises de 25 %. Ce n’est pas pour tout le monde - seulement pour les très haut risque.

Faut-il prendre des oméga-3 si on est diabétique ?

Si vous êtes diabétique et que vos triglycérides sont élevés (au-dessus de 150 mg/dL), alors oui, il peut y avoir un bénéfice. L’étude REDUCE-IT a montré que les patients diabétiques bénéficient fortement de l’EPA pur. Mais encore une fois, ce n’est pas avec une gélule du supermarché. Il faut une prescription et une dose de 4 grammes par jour.

Les suppléments d’oméga-3 sont-ils sûrs à long terme ?

À doses modérées (1 à 2 grammes par jour), ils sont généralement sûrs. À doses élevées (plus de 3 grammes), ils peuvent augmenter le risque de fibrillation auriculaire et de saignements, surtout si vous prenez des anticoagulants. La qualité des produits est aussi un problème : certains sont rancis ou contaminés. Privilégiez les marques certifiées et consultez votre médecin avant de dépasser 2 grammes par jour.

Pourquoi les médecins ne recommandent-ils plus les oméga-3 ?

Parce que les preuves ont changé. Les grandes études récentes montrent que les suppléments en vente libre n’ont aucun effet sur la santé cardiaque pour la majorité des gens. Les cardiologues ne les prescrivent plus en prévention primaire. Mais ils continuent de prescrire Vascepa - un médicament spécifique - pour les patients à très haut risque. Ce n’est pas une rejection totale, c’est une précision.