Immunogénicité des biosimilaires : pourquoi les réponses immunitaires peuvent différer
Morgan DUFRESNE 20 décembre 2025 0 Commentaires

Qu’est-ce que l’immunogénicité chez les biosimilaires ?

Quand un patient reçoit un médicament biologique, son système immunitaire peut parfois le reconnaître comme un étranger. Cette réaction, appelée immunogénicité, conduit à la production d’anticorps anti-médicament (ADAs). Ces anticorps peuvent réduire l’efficacité du traitement, voire provoquer des effets secondaires graves comme des réactions allergiques ou une perte de réponse thérapeutique. Ce phénomène est particulièrement préoccupant avec les biosimilaires, ces versions plus abordables des médicaments biologiques d’origine. Contrairement aux génériques classiques, qui sont des copies chimiques exactes, les biosimilaires sont des protéines vivantes produites dans des cellules vivantes. Même de minuscules différences dans leur structure peuvent influencer la façon dont le corps les perçoit.

Différence fondamentale : biosimilaires vs génériques

Un générique d’ibuprofène est une molécule identique à celle du médicament d’origine. Vous pouvez la synthétiser dans un laboratoire avec les mêmes atomes, dans les mêmes proportions. Un biosimilaire, lui, est une protéine complexe, parfois composée de plus de 20 000 atomes, produite par des cellules vivantes - souvent des cellules de hamster chinois ou de souris. Ces cellules ne sont pas des imprimantes 3D parfaites. Elles ajoutent des sucres (glycosylation), modifient des acides aminés, ou créent de petits agrégats de protéines. Ces variations, appelées modifications post-traductionnelles, sont normales, mais elles peuvent changer la façon dont le système immunitaire réagit. Un biosimilaire n’a pas besoin d’être identique à 100 % au produit d’origine, mais il doit être très similaire et ne pas présenter de différences cliniquement significatives. Le défi ? Démontrer que ces petites différences ne déclenchent pas une réponse immunitaire plus forte.

Comment le corps réagit-il aux protéines étrangères ?

Le système immunitaire a deux voies principales pour produire des anticorps contre un médicament. La première, appelée dépendante des cellules T, est la plus courante. Les cellules présentatrices d’antigènes capturent la protéine du médicament, la découpent, et la montrent aux cellules T. Celles-ci activent alors les cellules B pour produire des anticorps de haute qualité, capables de se lier très précisément. La seconde voie, indépendante des cellules T, se déclenche quand une protéine a une structure répétitive, comme un motif en zigzag. Elle active directement les cellules B, sans passer par les cellules T. Ce mécanisme est plus rapide, mais produit des anticorps moins puissants. Le problème avec les biosimilaires, c’est qu’un changement minime dans la structure - par exemple, un sucre manquant sur la surface de la protéine - peut créer un nouveau motif reconnu comme étranger par l’immunité. Même un anticorps entièrement humain peut devenir immunogène si ses régions de liaison (CDR) sont légèrement modifiées.

Deux injections comparées : perfusion calme vs réaction immunitaire explosive.

Facteurs qui influencent la réponse immunitaire

La réponse immunitaire à un biosimilaire ne dépend pas seulement de la molécule elle-même. Trois catégories de facteurs entrent en jeu.

  • Facteurs liés au traitement : L’administration sous-cutanée (injection sous la peau) augmente le risque d’immunogénicité de 30 à 50 % par rapport à une perfusion intraveineuse. Plus vous recevez le traitement fréquemment, plus votre système a le temps de s’habituer - ou de réagir. Les traitements chroniques, au-delà de six mois, sont plus à risque. Certains excipients, comme les stabilisants (polysorbate 20 vs 80), peuvent aussi influencer la stabilité de la protéine et provoquer des agrégats.
  • Facteurs liés au patient : Les personnes atteintes de maladies auto-immunes comme la polyarthrite rhumatoïde ont un risque 2,3 fois plus élevé de développer des anticorps. Certains gènes, comme HLA-DRB1*04:01, augmentent le risque jusqu’à 4,7 fois. En revanche, les patients immunodéprimés ou ceux qui prennent du méthotrexate en même temps voient leur risque diminuer de 65 %, car ce médicament calme le système immunitaire.
  • Facteurs liés au produit : Les impuretés sont le gros problème. Si les agrégats de protéines dépassent 5 % de la masse totale, le risque d’immunogénicité augmente de 3,2 fois. Les protéines résiduelles de la cellule hôte (HCP), si elles dépassent 100 parties par million, sont associées à une augmentation de 87 % des anticorps. La glycosylation - la présence ou l’absence de sucres - est aussi critique. Même une différence de 2 % dans la sialylation peut altérer la fonction immunitaire de la protéine.

Les études montrent-elles des différences réelles ?

Les données sont contradictoires, mais rassurantes dans l’ensemble. Une étude de 2021 sur 1 247 patients atteints de polyarthrite rhumatoïde a comparé l’infliximab d’origine à son biosimilaire CT-P13. Résultat : 12,3 % des patients ont développé des anticorps avec le produit d’origine, 11,8 % avec le biosimilaire. Aucune différence statistique. Le grand essai NOR-SWITCH, qui a suivi 481 patients passés du produit d’origine au biosimilaire, a observé une légère augmentation des anticorps (11,2 % vs 8,5 %), mais sans impact sur l’efficacité clinique.

En revanche, une étude danoise en 2020 sur l’adalimumab a trouvé une différence : 18,7 % des patients sous Humira ont développé des anticorps, contre 23,4 % sous Amgevita. La différence était statistiquement significative, mais les patients répondaient toujours aussi bien au traitement. Des témoignages sur Reddit racontent des réactions locales plus intenses après le passage à un biosimilaire, mais aussi des patients qui n’ont rien remarqué. Les rhumatologues interrogés en 2022 sont divisés : 68 % pensent que les craintes sont exagérées, 22 % affirment avoir observé des différences cliniques.

Procès d'une protéine biosimilaire devant un jury de cellules immunitaires.

Comment les autorités vérifient-elles la sécurité ?

Les agences de régulation, comme l’EMA en Europe et la FDA aux États-Unis, exigent des études comparatives rigoureuses. Pas n’importe quel test. Les essais doivent utiliser les mêmes méthodes pour mesurer les anticorps chez les deux groupes (produit d’origine et biosimilaire). Les tests doivent être en trois étapes : dépistage, confirmation, puis caractérisation. Le plus important : vérifier si les anticorps sont neutralisants, c’est-à-dire s’ils bloquent vraiment l’action du médicament. Pour cela, les laboratoires utilisent des tests cellulaires, même s’ils sont moins précis que les tests de liaison. La FDA insiste sur l’approche du totalité des preuves : pas seulement les données cliniques, mais aussi l’analyse chimique, les études animales, et les essais de fonctionnalité. Si une différence de glycosylation est détectée, même minime, elle doit être évaluée pour son impact potentiel.

Le marché évolue, les craintes diminuent

Le marché mondial des biosimilaires a doublé entre 2017 et 2022, passant de 2,1 à 10,5 milliards de dollars. En Europe, 85 % des patients traités pour la polyarthrite rhumatoïde prennent désormais un biosimilaire d’infliximab. Aux États-Unis, la progression est plus lente, à cause des litiges de brevets et des barrières de remboursement. Mais les données réelles rassurent. La plupart des patients peuvent passer du produit d’origine au biosimilaire sans problème. Les nouvelles technologies, comme la spectrométrie de masse de pointe, permettent désormais d’analyser la structure des protéines avec une précision de 99,5 %. À terme, il sera presque impossible de produire un biosimilaire avec des différences immunogéniques non détectées. Des plateformes intégrant la protéomique, la glycomique et l’immunomique sont déjà en cours de test dans des centres comme l’Université de Californie à San Francisco.

Que faut-il retenir ?

Les biosimilaires ne sont pas des copies parfaites, mais ils sont suffisamment proches pour être sûrs dans la grande majorité des cas. L’immunogénicité est un risque théorique, pas une règle. La plupart des différences observées dans les études n’ont pas d’impact clinique. Les patients ne doivent pas craindre de passer à un biosimilaire. Les médecins, eux, doivent choisir des produits bien caractérisés, avec des données d’immunogénicité comparatives solides. Et surtout, ils doivent surveiller les patients, surtout ceux à risque - ceux avec une maladie auto-immune, ou qui reçoivent des injections fréquentes. Ce n’est pas une question de biosimilaire vs original. C’est une question de vigilance, de données, et de confiance fondée sur la science, pas sur la peur.