La réglisse et les médicaments : des interactions inattendues dans un bonbon courant

Vous aimez la réglisse ? Vous n’êtes pas seul. Ce bonbon noir, doux et légèrement épicé, est un classique dans les tiroirs de cuisine, les sacs de voyage, et même les boîtes de médicaments en Suisse ou au Japon. Mais ce que peu de gens savent, c’est que cette saveur familière peut perturber sérieusement certains traitements médicaux - parfois avec des conséquences graves.

Qu’est-ce qui rend la réglisse dangereuse ?

Le vrai danger ne vient pas du sucre, ni même du goût. Il vient d’un composé naturel appelé glycyrrhizine. C’est lui qui donne à la réglisse son goût distinctif… et ses effets sur le corps. La glycyrrhizine imite les hormones qui régulent l’équilibre des minéraux, surtout le sodium et le potassium. En bloquant une enzyme appelée 11β-hydroxysteroid dehydrogenase type 2, elle fait accumuler du cortisol dans les reins - un effet qui ressemble à celui d’un diurétique puissant, mais sans le contrôle.

Le résultat ? Votre corps retient du sodium, perd du potassium, et retient de l’eau. Cela peut faire monter votre pression artérielle, provoquer des crampes, une fatigue intense, et dans les cas les plus sévères, des arythmies cardiaques. Une étude publiée en 2012 dans PubMed Central décrit le cas d’un homme de 47 ans qui a développé une pression artérielle de 210/120 mmHg et un taux de potassium de 2,6 mmol/L après avoir mangé 200 grammes de réglisse par jour pendant trois semaines. Ce n’est pas un cas isolé.

Quels médicaments sont concernés ?

La réglisse n’attaque pas tous les médicaments de la même manière. Elle agit de deux façons principales : soit en modifiant la façon dont votre corps métabolise les substances (pharmacocinétique), soit en amplifiant leurs effets sur les organes (pharmacodynamique).

• Antihypertenseurs : Si vous prenez du lisinopril, du ramipril ou un autre inhibiteur de l’ECA, la réglisse peut annuler leur effet. Un utilisateur sur Reddit a rapporté que sa pression est passée de 120/80 à 165/95 en trois jours après avoir mangé 30 grammes de réglisse par jour.
• Diurétiques : Les diurétiques thiazidiques ou les boucles (comme le furosémide) font déjà perdre du potassium. Ajoutez-y de la réglisse, et vous risquez une hypokaliémie sévère - un taux de potassium inférieur à 3,0 mmol/L. Des cas ont été documentés où des patients ont dû être hospitalisés pour des arrêts cardiaques.
• Corticoïdes : Si vous prenez de la fludrocortisone ou du prednisone, la réglisse peut doubler l’effet de ces médicaments. Un patient suivi par l’agence néo-zélandaise Medsafe a développé une pression artérielle de 205/110 mmHg et une crise de panique après avoir mangé de la réglisse, alors qu’il prenait déjà de la fludrocortisone depuis des années sans problème.
• Anticoagulants : La réglisse peut rendre le warfarin plus puissant - ou moins, selon les cas. Un rapport de 2000 a montré une augmentation du risque de saignement, tandis qu’un autre cas en 2021 a vu l’INR d’une femme de 92 ans chuter brusquement après qu’elle a commencé à consommer de la réglisse avec du phenprocoumon. Il n’y a pas de règle simple : cela dépend de la variété de réglisse, de la dose, et même de votre génétique.
• Médicaments pour le diabète : Des études sur des rats montrent que la réglisse peut réduire l’efficacité de la metformine. Bien que ce n’ait pas encore été confirmé chez l’humain, les médecins recommandent la prudence.

La réglisse n’est pas toujours de la réglisse

Attention à la confusion. Beaucoup de « réglisse » vendue comme bonbon - surtout en dehors de l’Europe - ne contient aucune glycyrrhizine. C’est souvent du parfum d’anis ou de fenouil, qui imite le goût sans les risques. En France, les produits contenant de la vraie réglisse doivent mentionner la présence de glycyrrhizine, mais ce n’est pas toujours le cas dans les pays voisins ou sur les sites internet.

Une enquête de Consumer Reports en 2023 a révélé que 78 % des produits de réglisse noire ne mentionnent pas la quantité de glycyrrhizine. Et 92 % n’affichent aucun avertissement sur les interactions médicamenteuses. Vous pouvez donc manger un paquet de « réglisse » sans savoir si vous ingérez 5 mg ou 50 mg de glycyrrhizine.

Quelle quantité est trop ?

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) fixe une limite sûre à 100 mg de glycyrrhizine par jour pour un adulte en bonne santé. Cela équivaut à environ 50 grammes de réglisse noire traditionnelle contenant 2 % de glycyrrhizine. Mais ce n’est pas une règle absolue.

Des personnes plus sensibles - les personnes âgées, celles avec une pression artérielle déjà élevée, ou celles qui prennent déjà des médicaments - peuvent développer des symptômes avec seulement 50 mg par jour pendant deux semaines. Et la plupart des gens ne savent pas qu’il faut compter les jours. Un effet toxique ne survient pas après une seule barre de réglisse. Il faut une consommation régulière sur plusieurs semaines.

La réglisse déglycyrrhizinée (DGL) est une alternative. Elle a été développée dans les années 1970 pour les personnes qui veulent les bienfaits de la réglisse (souvent pour les ulcères) sans le risque. Si vous voyez « DGL » sur l’emballage, vous êtes en sécurité - tant que la dose est bien contrôlée.

Les signes d’alerte à ne pas ignorer

Si vous mangez de la réglisse régulièrement et que vous prenez un médicament, voici les signes à surveiller :

• Pression artérielle qui monte sans raison
• Crampes musculaires ou faiblesse inhabituelle
• Palpitations ou battements de cœur irréguliers
• Enflure des chevilles ou gain de poids rapide (plus de 2 kg en une semaine)
• Fatigue extrême, même après un bon sommeil

Un cas rapporté en 2009 décrit un patient qui a développé un syndrome du canal carpien à cause de la rétention d’eau provoquée par la réglisse. Ce n’est pas un effet courant, mais il montre à quel point les conséquences peuvent être inattendues.

Que faire si vous prenez des médicaments ?

Si vous êtes sous traitement chronique, voici ce qu’il faut faire :

1. Regardez l’étiquette de tout produit contenant de la réglisse. Cherchez « glycyrrhizine » ou « extrait de racine de réglisse ». Si c’est absent, demandez à votre pharmacien.
2. Évitez la réglisse si vous prenez des antihypertenseurs, des diurétiques, des corticoïdes ou des anticoagulants.
3. Si vous voulez en consommer de temps en temps, limitez-vous à 20 grammes par semaine, et jamais plus de 50 grammes par semaine.
4. Si vous avez déjà mangé de la réglisse et que vous avez des symptômes, arrêtez immédiatement et consultez un médecin. Un simple test sanguin pour mesurer le potassium peut sauver la vie.
5. Informez votre pharmacien de votre consommation de réglisse - même si vous pensez que c’est « juste un bonbon ».

Une étude de 2021 dans le Journal of Clinical Pharmacy and Therapeutics a montré que seulement 37 % des pharmaciens en milieu communautaire pouvaient identifier correctement tous les risques d’interaction de la réglisse. Ce n’est pas votre faute si vous ne le saviez pas. Mais maintenant que vous le savez, vous pouvez agir.

Le futur : des étiquettes plus claires ?

Les autorités commencent à réagir. Le Royaume-Uni exige des étiquettes d’avertissement sur les produits contenant plus de 100 mg de glycyrrhizine par portion. Le Japon limite la teneur en glycyrrhizine dans les compléments à 100 mg par jour. L’EFSA et la FDA reconnaissent désormais la réglisse comme une « priorité » en matière d’interactions médicamenteuses.

À l’horizon 2026, l’American Herbal Pharmacopoeia propose que toutes les régles de réglisse contenant de la glycyrrhizine soient obligatoirement étiquetées avec leur teneur exacte. C’est une bonne nouvelle. Mais pour l’instant, la responsabilité repose sur vous.

La réglisse n’est pas un poison. Elle a été utilisée pendant des milliers d’années comme plante médicinale. Mais comme tout médicament naturel, elle n’est pas inoffensive. Elle interagit. Elle modifie. Elle peut changer la façon dont votre corps réagit à ce que vous prenez chaque jour. Et ce n’est pas une question de « peut-être ». C’est une réalité clinique, documentée, et répétée dans des milliers de cas.

Vous n’avez pas besoin de jeter votre paquet de réglisse. Mais vous avez besoin de le regarder autrement. Pas comme un simple bonbon. Comme un ingrédient actif. Et si vous prenez un médicament, ce n’est plus un choix anodin. C’est une décision de santé.