Triméthoprime et taux de potassium : risque d'hyperkaliémie à ne pas sous-estimer
Morgan DUFRESNE 3 décembre 2025 1 Commentaires

Vous avez peut-être déjà entendu parler du triméthoprime sous la forme de Bactrim ou Septra, un antibiotique couramment prescrit pour les infections urinaires, les sinusites ou la pneumonie à Pneumocystis. Mais savez-vous qu’il peut, en quelques jours, faire monter votre potassium à des niveaux dangereux - parfois sans que vous n’ayez aucun symptôme jusqu’au moment où votre cœur arrête de battre ?

Comment un simple antibiotique peut faire exploser votre potassium

Le triméthoprime n’est pas un diurétique, mais il agit comme s’il l’était. Il bloque les canaux sodiques dans les reins, exactement comme l’amiloride, un médicament conçu pour retenir le potassium. En réduisant l’élimination du potassium par les urines, il fait monter sa concentration dans le sang. Ce n’est pas une théorie : des études montrent que chez 8,4 % des patients prenant du triméthoprime, le taux de potassium dépasse 5,5 mmol/L - le seuil au-delà duquel le risque de troubles du rythme cardiaque devient réel. Chez les personnes âgées ou déjà sous traitement pour l’hypertension, ce chiffre grimpe à 17,6 %.

Le plus inquiétant ? Cette élévation ne se produit pas après plusieurs semaines. Elle peut arriver en seulement 48 à 72 heures. Un patient de 80 ans, en bonne santé au départ, avec une créatinine normale, a vu son potassium passer de 4,2 à 7,8 mmol/L en trois jours après avoir pris une seule dose quotidienne de Bactrim pour se protéger d’une infection. Il a eu un arrêt cardiaque. Ce n’est pas un cas isolé : entre 2010 et 2020, la base de données de la FDA a recensé 43 décès liés à cette réaction.

Qui est vraiment à risque ?

Ce n’est pas une question de « tout le monde » ou « personne ». Le risque est ciblé. Voici les profils les plus exposés :

  • Les personnes âgées de plus de 65 ans
  • Celles qui prennent un inhibiteur de l’ECA (comme le lisinopril) ou un sartan (comme le losartan)
  • Celles qui ont une insuffisance rénale légère à modérée (clairance de la créatinine < 60 mL/min)
  • Celles qui ont un diabète ou une maladie rénale chronique
  • Celles qui prennent déjà un diurétique épargneur de potassium (comme l’amiloride ou le spironolactone)

Et si vous avez deux de ces facteurs ? Le risque explose. Une étude a montré que chez les patients diabétiques, avec insuffisance rénale et sous inhibiteur de l’ECA, 32,1 % développent une hyperkaliémie sévère avec triméthoprime. Pour comparaison, chez les patients sans ces facteurs, ce taux tombe à 4,3 %.

Un antibiotique, mais pas n’importe lequel

Beaucoup pensent que tous les antibiotiques se valent. Ce n’est pas vrai. Le triméthoprime est l’un des rares à avoir ce risque spécifique. Comparé à l’amoxicilline, il augmente le risque d’hyperkaliémie nécessitant une hospitalisation par 6,7 fois. La nitrofurantoïne, elle, ne présente aucun risque significatif - et c’est pourtant une excellente alternative pour les infections urinaires.

Le problème ? Le triméthoprime reste l’un des antibiotiques les plus prescrits aux États-Unis, avec 14,7 millions d’ordonnances par an. Près de 30 % de ces prescriptions sont destinées à des personnes de plus de 65 ans - soit 4,2 millions de cas à risque chaque année. Et pourtant, seulement 42 % des médecins généralistes vérifient le taux de potassium avant de le prescrire.

Reins cartoon avec des pilules de triméthoprime les inondant, provoquant une explosion de potassium.

Comment les médecins le voient - et comment ils ne le voient pas

Les néphrologues savent. Les spécialistes des maladies infectieuses savent. Mais dans les cabinets de médecins généralistes ou les urgences, beaucoup ne le voient pas comme un danger. Pourquoi ? Parce que le potassium est souvent oublié dans les bilans de base. Un patient vient avec une cystite, on lui donne du Bactrim, et on ne pense pas à vérifier le potassium - surtout si la créatinine est « normale ».

Or, la créatinine ne dit pas tout. Un patient peut avoir une fonction rénale « normale » mais une sensibilité accrue au triméthoprime. Et ce médicament s’accumule dans les reins à des concentrations 10 à 50 fois plus élevées que dans le sang. C’est comme si vos reins étaient en première ligne pour subir l’effet, même si votre foie ou vos muscles n’en ressentent rien.

Que faire si vous êtes déjà sous triméthoprime ?

Si vous prenez ce médicament et que vous êtes dans un groupe à risque, voici ce qu’il faut faire :

  1. Ne le prenez pas sans avoir fait un bilan sanguin de potassium avant la première dose.
  2. Refaire une prise de sang 48 à 72 heures après le début du traitement.
  3. Si le potassium dépasse 5,5 mmol/L, arrêtez immédiatement le traitement et consultez.
  4. Ne le reprenez jamais si vous avez déjà eu une hyperkaliémie liée à ce médicament.
  5. Si vous êtes sur un inhibiteur de l’ECA ou un sartan, demandez systématiquement une alternative : nitrofurantoïne, fosfomycine, ou céphalosporine selon l’infection.

Un patient de 72 ans, sous lisinopril, a été hospitalisé en urgence après avoir pris Bactrim pour une infection urinaire. Son potassium était à 6,8 mmol/L. Il a reçu du gluconate de calcium, de l’insuline avec du glucose, et a dû subir une dialyse d’urgence. Il s’en est sorti. Mais il a failli mourir.

Séquence de bande dessinée montrant une élévation du potassium jusqu&#039;à l&#039;arrêt cardiaque.

Les solutions existent - mais elles sont sous-utilisées

Il n’y a pas de fatalité. Des hôpitaux ont mis en place des alertes électroniques : dès qu’un médecin veut prescrire du triméthoprime à un patient sous ECA, le système bloque la prescription et propose une alternative. Résultat ? Une réduction de 57 % des cas d’hyperkaliémie en un an.

Des outils comme le « TMP-HyperK Score » permettent maintenant de prédire le risque avec 88 % de précision : il prend en compte l’âge, le potassium initial, la fonction rénale et les traitements concomitants. Ce n’est pas un gadget : c’est une méthode validée par la Société américaine de néphrologie.

Et pourtant, en 2025, la plupart des cabinets médicaux n’en ont pas encore fait l’usage. Pourquoi ? Parce que les règles ne sont pas encore devenues des habitudes. Le triméthoprime est un médicament ancien, bon marché, et efficace - ce qui le rend facile à prescrire. Mais sa sécurité n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air.

Que faire si vous êtes immunodéprimé et avez besoin de ce traitement ?

Oui, il y a des exceptions. Pour les patients atteints de VIH ou en chimiothérapie, le triméthoprime est la première ligne pour prévenir la pneumonie à Pneumocystis. Dans ces cas, les bénéfices dépassent les risques - mais seulement si vous êtes surveillé de près.

Les recommandations sont claires : si vous êtes dans cette situation, votre médecin doit :

  • Contrôler votre potassium avant le début du traitement
  • Le répéter à J2, J4 et J7
  • Éviter toute combinaison avec des inhibiteurs de l’ECA ou des diurétiques épargneurs de potassium
  • Prévoir un plan d’urgence en cas de hausse rapide du potassium

Le traitement ne doit pas être arrêté - mais il doit être encadré. La survie dépend de la vigilance, pas de l’abandon du médicament.

Et maintenant ? Ce que vous pouvez faire

Vous n’êtes pas un médecin. Mais vous pouvez être un patient actif.

Si vous êtes âgé, si vous prenez un traitement pour la tension artérielle, ou si vous avez des problèmes rénaux, posez toujours ces deux questions avant de prendre un antibiotique :

  1. « Est-ce que ce médicament peut faire monter mon potassium ? »
  2. « Est-ce que je dois faire une prise de sang avant ou après ? »

Si la réponse est « non » ou « je ne sais pas », demandez une alternative. La nitrofurantoïne pour les infections urinaires, l’amoxicilline pour les infections respiratoires - il existe des options sans ce risque caché.

Le triméthoprime n’est pas un mauvais médicament. Il est utile, parfois indispensable. Mais il n’est pas anodin. Il est un poison lent pour les reins, et un danger silencieux pour le cœur. Ce n’est pas une théorie. C’est une réalité clinique, documentée, mesurée, et encore trop souvent ignorée.

Ne laissez pas la routine d’un médecin remplacer votre vigilance. Votre potassium ne ment pas. Et votre cœur ne vous pardonnera pas un oubli.

Le triméthoprime peut-il faire monter mon potassium même si je n’ai pas d’insuffisance rénale ?

Oui. Même avec une fonction rénale normale, le triméthoprime peut provoquer une élévation du potassium, surtout si vous prenez un inhibiteur de l’ECA ou un sartan. Une étude a montré qu’un patient de 80 ans, sans antécédent rénal, a vu son potassium passer de 4,2 à 7,8 mmol/L en trois jours après une simple dose quotidienne de Bactrim. La concentration du médicament dans les reins est 10 à 50 fois plus élevée que dans le sang, ce qui explique son effet local puissant.

Quand faut-il faire une prise de sang après avoir pris du triméthoprime ?

Il faut faire une prise de sang pour mesurer le potassium 48 à 72 heures après le début du traitement. C’est à ce moment-là que le taux atteint son pic dans la majorité des cas. Si vous êtes à risque (âgé, sous ECA, diabétique), cette prise de sang est indispensable. Ne vous fiez pas à la créatinine : elle ne reflète pas le risque d’hyperkaliémie.

Quelles sont les alternatives au triméthoprime pour une infection urinaire ?

La nitrofurantoïne est la meilleure alternative pour les infections urinaires simples, surtout chez les personnes âgées ou sous traitement pour la tension. Elle n’augmente pas le risque d’hyperkaliémie. La fosfomycine en dose unique est aussi une option efficace et sans interaction. Pour les infections plus sévères, les céphalosporines (comme la cefdinir) sont souvent préférées. Votre médecin peut choisir l’alternative la plus adaptée à votre profil.

Le triméthoprime est-il interdit chez les personnes âgées ?

Non, il n’est pas interdit, mais il est fortement déconseillé chez les personnes de plus de 65 ans qui prennent un inhibiteur de l’ECA, un sartan ou un diurétique épargneur de potassium. Les recommandations de l’American Geriatrics Society (2023) classent cette combinaison comme « à éviter absolument » en raison du risque élevé d’hyperkaliémie et d’arrêt cardiaque. Dans ces cas, une alternative doit toujours être proposée.

Puis-je reprendre le triméthoprime après avoir eu une hyperkaliémie ?

Non. Si vous avez déjà eu une hyperkaliémie liée au triméthoprime, même légère, vous ne devez jamais le reprendre. Le risque de récidive est très élevé, et la prochaine fois, cela pourrait être fatal. Le corps devient plus sensible après un premier épisode. Il existe des alternatives pour toutes les indications - même pour la prophylaxie de la pneumonie à Pneumocystis, où d’autres traitements comme l’atovaquone ou la pentamidine peuvent être utilisés.

1 Comment
Isabelle Bujold
Isabelle Bujold

décembre 4, 2025 AT 14:41

Je viens de relire cet article en entier, et je dois dire que c’est l’un des rares textes médicaux qui m’a vraiment fait frissonner. Le triméthoprime, ce petit antibiotique qu’on prescrit comme du sucre, est en réalité une bombe à retardement pour les reins et le cœur, surtout chez les seniors. J’ai vu une patiente de 78 ans, hypertendue sous lisinopril, se faire hospitaliser en urgence après trois jours de Bactrim pour une cystite. Son potassium était à 7,1. Elle a eu une fibrillation ventriculaire. Rien de dramatique dans son dossier avant ça. Aucun signe. Juste une ordonnance banale. Et pourtant, les données sont là, claires, chiffrées. 8,4 % de risque d’hyperkaliémie, jusqu’à 32 % si vous avez trois facteurs de risque. Pourquoi est-ce qu’on ne fait pas systématiquement un bilan avant ? Parce que c’est plus rapide de prescrire que de vérifier ? Parce que les médecins ont trop de patients et pas assez de temps ? Peut-être. Mais ce n’est pas une excuse. La médecine n’est pas une course contre la montre, c’est une affaire de vigilance. Et cette vigilance, elle doit commencer par le patient lui-même. Posez la question. Exigez le bilan. Ne laissez pas la routine tuer. Ce n’est pas paranoïa, c’est de la prévention. Et c’est votre vie qui est en jeu.

Je travaille dans un centre de soins pour personnes âgées, et je peux vous dire que ce genre d’erreur est encore trop fréquent. On ne vérifie pas le potassium. On ne vérifie pas les interactions. On se fie à la créatinine, comme si c’était une baguette magique. Mais la créatinine, elle, ne voit pas ce qui se passe dans les tubules rénaux. Le triméthoprime s’y accumule comme du poison. Dix à cinquante fois plus. C’est comme si on mettait du sel dans un filtre à café. Le filtre ne voit rien, mais l’eau devient invivable. Et nous, on continue à boire. Il faut changer ça. Pas demain. Maintenant.

Je suis infirmière depuis 27 ans. J’ai vu trop de gens partir pour des raisons qu’on aurait pu éviter. Ce n’est pas une question de compétence médicale. C’est une question de culture. Et cette culture, elle doit changer. Pas seulement dans les hôpitaux. Dans les cabinets. Dans les urgences. Dans les pharmacies. Dans les têtes. Parce que si vous êtes âgé, si vous prenez un ECA, si vous avez un petit problème rénal… vous n’êtes pas juste un patient. Vous êtes un cible. Et ce médicament, il ne vous soigne pas. Il vous tue lentement. Et personne ne vous en a parlé. J’espère que cet article va faire bouger les choses. Parce que si on ne fait rien, demain, ce sera quelqu’un d’autre. Et peut-être que ce sera quelqu’un que vous aimez.

Je vous remercie pour avoir mis ça en ligne. C’est rare qu’on parle de ces choses avec autant de clarté. Il faut plus d’articles comme celui-là. Pas des pamphlets. Des vérités.

Et si vous êtes médecin : arrêtez de prescrire du triméthoprime comme si c’était du paracétamol. Vérifiez. Évaluez. Alternativez. C’est pas compliqué. C’est juste humain.

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