Saignement variqueux : ligature, bêta-bloquants et prévention
Maxime Dezette 23 décembre 2025 0 Commentaires

Qu’est-ce que le saignement variqueux ?

Le saignement variqueux est une urgence médicale grave qui survient lorsque des veines anormalement dilatées, appelées varices, se rompent dans l’œsophage ou l’estomac. Ce phénomène est presque toujours lié à une cirrhose du foie, une maladie chronique qui endommage le tissu hépatique et augmente la pression dans la veine porte - cette grande artère qui transporte le sang du système digestif vers le foie. Quand cette pression dépasse 12 mmHg, les veines collatérales, qui ont poussé pour contourner le foie obstrué, deviennent trop tendues et finissent par éclater. Le résultat ? Une hémorragie massive, souvent rapide et mortelle. Selon l’American Association for the Study of Liver Diseases (AASLD), entre 15 % et 20 % des patients meurent dans les six semaines suivant un premier épisode de saignement.

Comment le saignement variqueux est-il diagnostiqué ?

Le diagnostic repose sur une endoscopie haute, réalisée dans les 12 heures suivant l’admission à l’hôpital. C’est la seule méthode fiable pour voir les varices, évaluer leur taille, leur couleur (les varices rouges sont les plus à risque de rupture) et détecter une hémorragie active. Les signes cliniques - vomissements de sang, selles noires et très visqueuses (mélénas), chute brutale de la pression artérielle - sont clairs, mais ils ne disent pas où le sang vient. Seule l’endoscopie permet de confirmer la source. En pratique, les patients admis en urgence avec un saignement digestif haut sont placés sous surveillance étroite et doivent subir une endoscopie dans les 12 heures, même s’ils sont instables. Ce délai critique est un point majeur des recommandations internationales : chaque heure perdue augmente le risque de décès.

La ligature élastique : le traitement de première ligne

La ligature élastique endoscopique (EBL) est devenue la norme mondiale pour arrêter un saignement variqueux actif. Cette technique consiste à placer des petits anneaux en caoutchouc autour des varices à l’aide d’une sonde endoscopique spécialisée. Ces bandes privent les veines de leur apport sanguin, ce qui provoque une nécrose, un caillot et, à terme, une disparition complète de la varice. Les dispositifs modernes, comme le système Six-Shot de Boston Scientific, permettent de poser jusqu’à huit bandes en une seule séance, réduisant le temps de procédure de 35 % par rapport aux anciens modèles à une seule bande. Selon une méta-analyse de 2021 portant sur plus de 1 200 patients, la ligature réussit à arrêter le saignement dans 90 à 95 % des cas. En comparaison, la sclérothérapie (injection de produits chimiques) - utilisée il y a 20 ans - a un taux de récidive deux fois plus élevé et provoque plus de complications, comme des sténoses œsophagiennes.

Combien de séances sont nécessaires ?

Une seule séance de ligature ne suffit pas. Pour éliminer complètement les varices, il faut généralement trois à quatre sessions, espacées de une à deux semaines. Chaque séance coûte entre 1 200 et 1 800 dollars aux États-Unis, selon le système de facturation Medicare. Les patients doivent donc planifier plusieurs visites. Certains rapportent une douleur intense à la gorge pendant deux semaines après la procédure, ce qui rend la déglutition difficile. Mais pour la plupart, les bénéfices l’emportent largement : un patient sur Reddit, qui a subi trois séances, a écrit : « La ligature a arrêté le saignement immédiatement. J’ai été libéré en trois jours. »

Médecin utilisant une endoscope en forme de lance-bandes pour traiter des varices géantes, avec un patient qui regarde avec espoir.

Les bêta-bloquants : la prévention à long terme

Une fois le saignement arrêté, le traitement ne s’arrête pas. Le risque de récidive est de 70 % dans la première année si rien n’est fait. C’est là qu’interviennent les bêta-bloquants non sélectifs (NSBB) : le propranolol et le carvedilol. Ces médicaments réduisent la pression dans la veine porte en diminuant le débit cardiaque et le flux sanguin dans les organes abdominaux. Leur objectif est d’abaisser le gradient de pression hépatique veineux (HVPG) à moins de 12 mmHg, ou de le réduire d’au moins 20 %. Le carvedilol est plus efficace que le propranolol : une étude de 2021 a montré une réduction moyenne de 22 % contre 15 %. Mais les deux réduisent le risque de récidive de près de 50 % par rapport à un placebo.

Combien coûtent les bêta-bloquants ?

Le propranolol générique coûte entre 4 et 10 dollars par mois aux États-Unis. Le carvedilol, lui, peut coûter jusqu’à 40 dollars par mois, surtout en version de marque. Pour les patients sans couverture, c’est un obstacle majeur. Sur les forums de patients, beaucoup décrivent des effets secondaires : fatigue extrême, vertiges, pouls lent. Un utilisateur a écrit : « Le propranolol me rendait incapable de sortir du lit. J’ai dû passer au carvedilol - ça va mieux, mais ça me coûte 35 dollars par mois. » Environ un quart à un tiers des patients ne peuvent pas tolérer les doses thérapeutiques. C’est pourquoi le suivi régulier avec un médecin est essentiel : il faut ajuster la dose lentement, surveiller la pression artérielle et le pouls, et ne pas abandonner le traitement.

La combinaison : la clé de la survie

Les lignes directrices de l’EASL et de l’AASLD sont claires : la ligature seule n’est pas suffisante. Les bêta-bloquants seuls ne suffisent pas non plus. La combinaison des deux est la seule stratégie qui réduit significativement la mortalité. Une étude de 2022 a montré que le taux de récidive à six mois tombe à 10 % avec la combinaison, contre 25 % avec la ligature seule et 40 % avec les bêta-bloquants seuls. Même si les patients ont peur des endoscopies ou détestent les effets secondaires des médicaments, la cohérence dans le traitement sauve des vies. Comme le dit Dr. Guadalupe Garcia-Tsao, auteure principale des recommandations de l’AASLD : « La combinaison de bêta-bloquants et de ligature est le standard de soins pour la prévention secondaire. »

Et les autres options ? TIPS, BRTO, vasoconstricteurs

Pour les cas les plus graves - patients en insuffisance hépatique avancée (Child-Pugh C), ou avec une récidive malgré la ligature et les bêta-bloquants - la TIPS (shunt portosystémique transjugulaire intra-hépatique) est une option. Ce procédé consiste à créer un canal artificiel entre la veine porte et une veine du foie, pour détourner le flux sanguin et réduire la pression. La TIPS améliore la survie à un an : 86 % contre 61 % avec les traitements classiques. Mais elle a un inconvénient majeur : elle augmente le risque d’encéphalopathie hépatique (confusion, somnolence) jusqu’à 30 %. Elle n’est disponible que dans 45 % des hôpitaux américains, car elle exige une équipe d’imagerie interventionnelle expérimentée.

Pour les varices gastriques - plus rares mais souvent plus dangereuses - la ligature est moins efficace. La BRTO (oblitération transveineuse rétrograde avec ballonnet) est préférée : elle bloque les varices par injection de colle depuis l’intérieur des veines. Une analyse de 7 160 patients en 2023 a montré une mortalité de 2,8 % avec la BRTO contre 6,2 % avec la seule ligature.

En phase aiguë, les vasoconstricteurs comme le terlipressin ou l’octréotide sont utilisés en attendant l’endoscopie. Le terlipressin réduit la mortalité de 34 %, mais il n’est pas disponible dans tous les pays. L’octréotide, plus accessible, a une efficacité équivalente dans la pratique réelle. Une nouvelle formulation à action prolongée (Sandostatin LAR) permet maintenant une injection mensuelle, ce qui pourrait améliorer l’observance.

Patient entre deux chemins : un vers la santé avec un foie en forme de cœur, l'autre vers un lit d'hôpital sombre, avec des pilules et des avertissements.

Les défis de la mise en œuvre

Malgré les bonnes recommandations, la réalité est plus complexe. Seulement 68 % des patients reçoivent une endoscopie dans les 12 heures préconisées. Seulement 55 % atteignent la dose thérapeutique des bêta-bloquants dans les trois mois. Pourquoi ? Manque de personnel formé, retards logistiques, absence de coordination entre les services. Les centres qui réalisent plus de 50 ligatures par an ont 15 % moins de récidives. C’est pourquoi les hôpitaux universitaires, avec des équipes spécialisées, ont de meilleurs résultats. Les petits hôpitaux doivent s’appuyer sur des lignes directrices claires et des lignes d’assistance téléphonique, comme celle de l’American College of Gastroenterology, disponible 24/7.

La prévention primaire : arrêter avant que ça ne commence

La meilleure stratégie, c’est d’empêcher le saignement avant qu’il ne survienne. Pour les patients atteints de cirrhose avec de petites varices, les bêta-bloquants sont recommandés si la pression portale est élevée (HVPG >10 mmHg). Le carvedilol est de plus en plus considéré comme le premier choix pour la prévention primaire, car il est plus efficace et peut parfois remplacer la ligature chez les patients à haut risque. Une étude publiée en 2023 dans le New England Journal of Medicine a montré que le carvedilol seul n’était pas moins efficace que la ligature pour prévenir le premier saignement. Ce changement pourrait simplifier la prise en charge de milliers de patients.

Quel avenir pour la prise en charge ?

Les recherches avancent vite. Le PORTAS trial, en cours, teste une nouvelle méthode pour poser la TIPS par voie percutanée, ce qui permettrait de l’offrir dans 75 % des hôpitaux d’ici 2027, contre 45 % aujourd’hui. D’autres pistes incluent l’IA pour prédire les saignements avant qu’ils n’arrivent, en analysant les données de pression, les examens d’imagerie et les signes cliniques. Une étude de 2023 prévoit que ces innovations pourraient réduire la mortalité de 40 % dans la prochaine décennie. Mais un problème persiste : les patients sans assurance ont un taux de mortalité 35 % plus élevé. La qualité des soins dépend encore trop de l’accès à la santé, pas seulement de la science.

Que faire après un saignement ?

Si vous ou un proche avez survécu à un saignement variqueux, voici ce qui compte :

  1. Ne jamais arrêter les bêta-bloquants sans consulter votre médecin.
  2. Respecter les rendez-vous d’endoscopie, même si vous vous sentez bien.
  3. Signaler immédiatement tout vomissement de sang, selles noires ou étourdissements.
  4. Éviter l’alcool, les médicaments hépatotoxiques et les compléments non prescrits.
  5. Consulter un service de soutien comme l’American Liver Foundation, qui aide 12 000 patients par an à coordonner leurs soins.

Le saignement variqueux n’est pas une fin. C’est un avertissement. Et avec les bons traitements, la plupart des patients peuvent vivre des années supplémentaires - à condition de ne pas négliger le suivi.

Quelle est la différence entre la ligature et la sclérothérapie pour les varices ?

La ligature élastique consiste à placer des bandes en caoutchouc autour des varices pour les faire disparaître, tandis que la sclérothérapie injecte un produit chimique pour les fermer. La ligature est plus efficace : elle arrête le saignement dans 90-95 % des cas contre 75-80 % pour la sclérothérapie. Elle provoque aussi moins de complications, comme les strictures œsophagiennes (6 % contre 15 %). Depuis 2005, la ligature est devenue le traitement de référence.

Pourquoi le carvedilol est-il préféré au propranolol pour les varices ?

Le carvedilol réduit la pression portale plus efficacement que le propranolol - environ 22 % contre 15 % selon des études comparatives. Il agit à la fois comme un bêta-bloquant et un vasodilatateur, ce qui lui permet de mieux cibler la pression dans le foie. Dans les recommandations récentes, il est de plus en plus considéré comme le premier choix pour la prévention primaire, surtout chez les patients à haut risque. Son seul inconvénient est le coût plus élevé.

Combien de temps faut-il pour que les bêta-bloquants fassent effet ?

Les effets sur la pression portale sont visibles après quelques jours, mais il faut plusieurs semaines pour atteindre la dose optimale. Le traitement est ajusté progressivement, en surveillant la pression artérielle et le pouls. Le but est d’atteindre une réduction de 20 % du gradient hépatique veineux (HVPG) ou une pression inférieure à 12 mmHg. Il ne faut pas augmenter la dose trop vite : des effets secondaires comme la fatigue ou les vertiges peuvent apparaître.

Est-ce que la TIPS est une solution permanente ?

La TIPS réduit la pression portale de manière durable, mais elle n’est pas une cure. Elle peut rester fonctionnelle pendant plusieurs années, mais elle peut se boucher (occlusion) ou provoquer une encéphalopathie hépatique. Elle est réservée aux cas graves, notamment après un échec des traitements médicaux ou endoscopiques. Elle ne remplace pas la prise en charge globale de la cirrhose.

Peut-on prévenir les saignements variqueux sans traitement ?

Non. Une fois que la cirrhose est installée et que des varices se sont formées, le risque de saignement est réel. La prévention repose sur deux piliers : les bêta-bloquants pour réduire la pression, et l’endoscopie pour surveiller et traiter les varices avant qu’elles ne saignent. Ignorer les recommandations augmente le risque de décès. Même si le traitement est contraignant, il sauve la vie.