Chaque année, plus de deux millions de signalements d’effets indésirables liés à des médicaments arrivent dans la base de données de la FDA. Ce n’est pas une simple archive. C’est une fenêtre ouverte sur la sécurité réelle des traitements, au-delà des essais cliniques. Et cette base, appelée FAERS (FDA Adverse Event Reporting System), est accessible gratuitement à tous : chercheurs, patients, médecins, journalistes. Mais comment la comprendre ? Comment l’utiliser sans se perdre dans des données brutes, biaisées, incomplètes ? La FDA a créé FAERS en 1969, mais ce n’est qu’au cours de la dernière décennie qu’elle en a fait un outil public réellement utilisable. Aujourd’hui, elle contient plus de 30 millions de rapports. Chaque entrée est un récit : un patient, un médicament, un effet indésirable. Parfois, c’est une simple éruption cutanée. Parfois, c’est une insuffisance cardiaque inattendue. Ce qui rend FAERS unique, c’est qu’il capture ce qui se passe dans la vraie vie - pas dans un essai contrôlé avec 500 patients pendant deux ans, mais dans des millions de personnes qui prennent un médicament pendant des années, avec d’autres maladies, d’autres traitements, d’autres habitudes de vie. Mais attention : un rapport dans FAERS ne signifie pas qu’un médicament a causé l’effet. C’est une piste, pas une preuve. La FDA le répète à chaque fois : « Les données FAERS ne sont pas un indicateur du profil de sécurité d’un médicament ». Pourquoi ? Parce que les rapports sont spontanés. Personne ne vérifie si le médicament est vraiment en cause. Un patient peut croire que sa migraine vient d’un antidiabétique, alors qu’il a juste changé de café. Un médecin peut oublier de mentionner un autre médicament pris en parallèle. Et les effets graves sont beaucoup plus souvent signalés que les légers. Résultat ? Les données sont biaisées. Elles sont riches, mais elles mentent si on les lit trop vite. Pour explorer FAERS sans être data scientist, la FDA a créé le FAERS Public Dashboard. C’est un outil web simple, avec des menus déroulants, des graphiques, des filtres. Vous voulez savoir si la metformine est liée à des problèmes de foie ? Sélectionnez le médicament, choisissez l’effet indésirable (par exemple, « hépatite »), et voilà : un graphique montre combien de rapports ont été faits chaque année depuis 2010. Vous pouvez filtrer par âge, sexe, ou pays. C’est intuitif. Un étudiant en pharmacie peut le comprendre en deux heures. Mais là où ça devient difficile, c’est quand vous voulez aller plus loin. Les termes médicaux utilisés ne sont pas en français ou en anglais simple. Ils sont codés en MedDRA - une nomenclature complexe, hiérarchisée, faite pour les professionnels. « Nausée » peut être un sous-terme de « troubles gastro-intestinaux », qui lui-même est sous « troubles du système digestif ». Apprendre cette structure prend entre 40 et 60 heures. Et si vous cherchez un effet rare, comme une réaction cutanée très spécifique, vous devez connaître le bon terme exact. Sinon, vous ne le trouverez pas. Pour les chercheurs, la FDA publie chaque trimestre des fichiers bruts en format XML ou ASCII. Ce sont les données non traitées, sans filtre. Elles font entre 1 et 5 gigaoctets. Pour les ouvrir, il faut un logiciel comme R ou Python, des bibliothèques spécialisées, et une bonne connaissance de la gestion des données manquantes. Un rapport sur 10 peut ne pas mentionner l’âge du patient. Un autre peut lister cinq médicaments sans dire lequel est suspect. Il faut trier, nettoyer, interpréter. Et même alors, vous ne savez pas combien de personnes ont pris le médicament. Sans ce dénominateur, vous ne pouvez pas calculer un taux d’incidence. Vous voyez 50 rapports de crise cardiaque après un nouveau traitement. Mais si 5 millions de personnes l’ont pris, c’est presque négligeable. Si seulement 500 l’ont pris, c’est une alerte. FAERS ne vous donne pas cette information. C’est un vide majeur. Comparez ça à EudraVigilance, la base européenne. Elle est plus riche en données, mais inaccessible au public. Ou à VigiBase, la base mondiale de l’OMS, qui contient des rapports de 130 pays, mais sans interface simple. FAERS, lui, est le seul à offrir un équilibre : transparence totale, outils accessibles, mais données non vérifiées. C’est pourquoi les universités américaines l’utilisent dans 70 % de leurs études de pharmacovigilance. Les grandes entreprises pharmaceutiques aussi - mais elles ne l’utilisent pas directement. Elles achètent des logiciels comme Oracle Argus ou IBM Watson Health, qui intègrent FAERS avec d’autres sources : dossiers médicaux électroniques, bases de remboursement, données de laboratoire. Ces outils coûtent entre 50 000 et 200 000 dollars par an. FAERS, lui, est gratuit. C’est une aubaine pour les petites équipes, les patients, les ONG. Un groupe d’activistes aux États-Unis a utilisé FAERS en 2022 pour découvrir une interaction inconnue entre un antidépresseur courant et un médicament contre le diabète. Ils ont repéré un pic de signalements de crises hypoglycémiques chez les patients prenant les deux ensemble. Ce n’était pas dans les notices. Ce n’était pas dans les essais. C’était dans FAERS. Ils ont alerté la FDA. Une étude a suivi. Le risque a été confirmé. La notice a été mise à jour. C’est l’exemple parfait : FAERS ne donne pas les réponses. Il pose les bonnes questions. Les outils évoluent. En janvier 2024, la FDA a adopté le standard ICH E2B(R3), qui permet d’envoyer des rapports plus précis, avec plus de détails. En 2025, elle prévoit d’ajouter une fonction de traitement du langage naturel : vous pourrez taper « j’ai eu des vertiges après avoir pris ce médicament » et le système identifiera automatiquement l’effet indésirable. Et bientôt, un nouvel API permettra d’interroger le dashboard directement par code. Mais les limites restent. Les données manquantes. Les biais de signalement. Le manque de contexte. FAERS n’est pas un oracle. C’est une boussole. Elle ne vous dit pas où aller. Elle vous montre où les autres se sont perdus. Si vous êtes médecin, commencez par le dashboard. Explorez. Posez des questions. Si vous êtes chercheur, apprenez MedDRA. Téléchargez les fichiers bruts. Utilisez R. Nettoyez les données. Et surtout, n’oubliez jamais : un signal dans FAERS est une hypothèse, pas une vérité. Il faut toujours le confirmer avec d’autres sources. Les essais cliniques. Les études épidémiologiques. Les dossiers médicaux. FAERS est un début. Pas une fin. Le plus grand danger ? Croire que plus de données = plus de certitude. FAERS montre que plus de signalements ne signifient pas plus de risques. Parfois, ça veut dire juste que plus de gens en parlent. Que la médiatisation a changé. Que les médecins ont appris à mieux rapporter. Ou que les patients ont plus confiance en la FDA. C’est ça, la transparence : elle ne donne pas des réponses claires. Elle rend les questions visibles. Et c’est déjà beaucoup.
Comment accéder à FAERS ?
- Le FAERS Public Dashboard est disponible gratuitement sur le site de la FDA. Aucun compte requis. Utilisable en 1 à 2 heures.
- Les fichiers bruts (XML, ASCII) sont publiés chaque trimestre. À télécharger sur la page dédiée de la FDA. Nécessite des compétences en programmation.
- Le Safety Reporting Portal permet aux professionnels de santé et aux patients de soumettre des rapports en ligne. Pas pour consulter, mais pour contribuer.
- Le OpenFDA API permet d’accéder aux données FAERS en format JSON pour intégrer les résultats dans d’autres applications.
Limites essentielles à comprendre
- Les rapports ne prouvent pas la causalité.
- Les données sont biaisées : les effets graves sont sureprésentés.
- Aucun dénominateur : on ne sait pas combien de personnes ont pris le médicament.
- Les rapports contiennent souvent des informations manquantes (âge, dose, autres médicaments).
- MedDRA est difficile à maîtriser sans formation.
Qui utilise FAERS ?
- Universités et chercheurs : 55 % des utilisateurs. Pour publier des études, détecter des signaux rares.
- Entreprises pharmaceutiques : 30 %. Pour surveiller la sécurité de leurs produits, répondre aux autorités.
- Patients et associations : 15 %. Pour comprendre les risques, alerter sur des effets inconnus.
Évolution à venir
- 2024 : lancement d’un API pour interroger le dashboard par code.
- 2025 : ajout de la reconnaissance de texte naturel pour identifier les effets indésirables dans les rapports libres.
- Intégration progressive avec le programme Sentinel de la FDA, qui utilise des données de santé réelles (dossiers médicaux, remboursements).