Maladie de Hodgkin : risques de cancers secondaires et comment les réduire
Maxime Dezette 4 septembre 2025 0 Commentaires

Bonne nouvelle d’abord : la maladie de Hodgkin se soigne très bien aujourd’hui. Le revers, c’est qu’en vivant longtemps après le traitement, on porte un risque accru de développer un autre cancer des années plus tard. Pas de panique : ce risque se mesure, se prévient en partie, et se surveille. Voici ce qui compte en 2025, sans jargon, pour savoir où vous en êtes et quoi faire concrètement.

TL;DR

  • Le risque de cancers secondaires augmente surtout après radiothérapie (cou/poitrine/abdomen) et certains agents alkylants (procarbazine, cyclophosphamide, BEACOPP), avec un pic des effets au-delà de 10-15 ans.
  • Ordres de grandeur: cumul ≈ 5-10% à 10 ans, 18-25% à 25 ans selon l’âge au traitement, les doses et l’ère de soins. Les protocoles récents ont réduit ce risque.
  • Dépistages clés: sein (règle 8 ans/25 ans), peau et thyroïde (annuel), colon (8-10 ans après irradiation abdomino-pelvienne), poumon (LDCT si tabagisme). Pas d’imagerie systématique si tout va bien.
  • Le tabac amplifie nettement les risques liés à la radiothérapie et à la chimio. Arrêt = meilleur levier de prévention.
  • Faites-vous un « passeport de survivant »: résumé des traitements, champs irradiés, doses. C’est la base pour un suivi personnalisé utile.

Comprendre le risque: mécanismes, facteurs et chiffres qui comptent

Pourquoi un deuxième cancer peut-il survenir après une guérison du Hodgkin? Deux grandes raisons: l’irradiation de certaines zones (qui endommage l’ADN de cellules saines) et des médicaments de chimio (en particulier les alkylants et l’étoposide), qui laissent une « cicatrice » biologique. Ajoutez l’âge jeune au moment du traitement (cellules plus sensibles), le sexe (le sein chez les femmes), et l’intervalle de temps (les effets mettent des années à apparaître).

Ce n’est pas un fatalisme. Les techniques d’aujourd’hui ont beaucoup baissé: champs d’irradiation plus petits (involved-site RT), doses mieux calibrées, moins d’alkylants si possible. Résultat: le risque diminue pour les cohortes modernes, même s’il ne tombe pas à zéro.

À quoi s’attendre de façon réaliste? Les grandes cohortes européennes et nord-américaines rapportent une incidence cumulée de cancers secondaires autour de 5-10% à 10 ans et 18-25% à 25 ans, avec des écarts selon l’exposition: plus élevée après irradiation médiastinale avant 30 ans, forte exposition aux alkylants (ex. BEACOPP intensif), ou tabagisme prolongé. Les localisations les plus fréquemment concernées: sein (femmes irradiées au thorax), thyroïde, poumon, peau (carcinomes et mélanome dans le champ irradié), colon/estomac si irradiation abdomino-pelvienne, leucémies/MDS précoces après chimio intensive.

Le tabac est le multiplicateur de risque le plus puissant après la radiothérapie thoracique: il augmente nettement les chances de cancer du poumon et rend le bénéfice d’un sevrage tangible en quelques années. Les interactions sont synergiques: 1 + 1 ne fait pas 2, mais plus.

Ce que disent les recommandations récentes? Les documents de suivi au long cours convergent sur une surveillance « adaptée au risque »: on ne fait pas tout à tout le monde, on cible selon l’historique exact du traitement, l’âge, et les comorbidités. L’objectif: détecter assez tôt ce qui est pertinent, sans multiplier des examens inutiles ni radiations supplémentaires.

« Les survivants d’un lymphome de Hodgkin doivent bénéficier d’un suivi à long terme centré sur les dépistages du sein, de la thyroïde, du poumon et du côlon en fonction des expositions (radiothérapie, alkylants) et de l’âge au traitement. » - ESMO Clinical Practice Guidelines, mise à jour 2023

Gardez en tête une chronologie simple: les leucémies secondaires surviennent plutôt tôt (2-10 ans après certains schémas), tandis que les cancers solides liés à la radiothérapie émergent souvent après 10-15 ans, et le risque reste élevé pendant plusieurs décennies.

Localisation Facteurs de risque liés au traitement Risque relatif (SIR) approx. Quand démarrer le dépistage Modalités recommandées
Sein (femme) Radiothérapie médiastinale/axillaire avant 30 ans ×4 à ×7 vs population 8 ans après l’irradiation ou à 25 ans (le plus tardif) IRM mammaire annuelle ± mammographie; examen clinique régulier
Poumon Radiothérapie thoracique, tabagisme, alkylants ×2 à ×7 selon tabac/dose Selon exposition tabagique LDCT annuel si critères de dépistage tabac; sevrage prioritaire
Thyroïde Radiothérapie cou/thyroïde ×2 à ×10 (nodules/cancers) Dès la fin du traitement Examen du cou et TSH annuels; échographie si anomalie
Côlon/rectum Radiothérapie abdomino-pelvienne ≥30 Gy (jeune âge) ×2 à ×4 8-10 ans après irradiation ou à 30-35 ans Coloscopie tous 5 ans (adapter selon polypes)
Estomac Radiothérapie abdominale; alkylants ×2 à ×3 Pas de dépistage systématique Vigilance symptômes; endoscopie si signes d’alarme
Peau Champs irradiés; UV ×2 à ×3 (carcinomes/BCC); mélanome ↑ Dès la fin du traitement Examen cutané annuel + auto-surveillance; photoprotection
Leucémie/MDS Alkylants (procarbazine, cyclophosphamide), étoposide Risque absolu faible mais ↑ (précocité) Dans les 2-10 ans post-traitement NFS périodique; consultation si fatigue, infections, saignements

Note: SIR = Standardized Incidence Ratio; valeurs indicatives par grandes cohortes. Ajustez avec votre équipe selon votre dossier.

Passer à l’action: votre plan de dépistage et de prévention personnalisé

Passer à l’action: votre plan de dépistage et de prévention personnalisé

La priorité, c’est d’adapter le suivi à votre histoire de soins. Sans cela, on sur- ou sous-dépiste. Voici un plan en 7 étapes pour cadrer les choses avec votre médecin généraliste et votre hémato-oncologue.

  1. Récupérez un « passeport de survivant »: résumé de votre protocole (ABVD? BEACOPP? Brentuximab? Immunothérapie?), dates, doses cumulées (doxorubicine), champs et doses d’irradiation (cou, médiastin, abdomen/pelvis), âge au traitement.
  2. Cartographiez vos expositions: thorax irradié? cou? abdomen? procarbazine/cyclophosphamide? étoposide? tabagisme? On coche les cases qui déclenchent des dépistages ciblés.
  3. Établissez un calendrier:
    • Sein: IRM ± mammographie annuelle à partir de 8 ans après irradiation thoracique ou à 25 ans (la date la plus tardive). Si pas d’irradiation thoracique, suivez le programme national selon l’âge et le risque familial.
    • Thyroïde: TSH + examen cervical annuels. Échographie si nodule ou TSH anormale.
    • Peau: dermatologue annuel, surtout sur les zones irradiées; auto-contrôle mensuel.
    • Côlon: coloscopie 8-10 ans après irradiation abdomino-pelvienne ≥30 Gy ou dès 30-35 ans (le plus tardif), puis tous 5 ans.
    • Poumon: LDCT annuel si vous remplissez les critères tabac (par ex. 20-30 paquet-années selon pays). Sans tabagisme, pas de dépistage systématique.
    • Leucémie/MDS: NFS annuelle durant 5-10 ans après chimio intensive; puis selon signes.
  4. Optimisez vos facteurs de risque:
    • Tabac: programme de sevrage dès maintenant. À 12 mois d’arrêt, le risque de poumon baisse déjà; à 10 ans, il peut diminuer de moitié.
    • UV: crème SPF 50, vêtements couvrants, pas d’UV cabine, surtout sur les zones irradiées.
    • Poids, activité, alcool: viser 150 min d’activité modérée par semaine, limiter l’alcool (idéalement < 10 verres/semaine, 2 jours sans), alimentation méditerranéenne.
    • Vaccins: mise à jour selon calendrier; HPV si éligible; vaccins inactivés privilégiés en cas d’immunosuppression.
  5. Réduisez les irradiations inutiles: au-delà des 2-5 premières années, les scanners systématiques n’apportent souvent pas de bénéfice si vous êtes asymptomatique. Préférez des examens sans rayons (IRM, écho) quand c’est pertinent.
  6. Coordonnez les rôles: un médecin « pilote » (souvent le généraliste) tient le calendrier; l’hémato-oncologue revoit périodiquement; les spécialistes (dermato, endocrino, gynéco, pneumo) interviennent selon vos expositions.
  7. Anticipez les moments de vie: projets de grossesse? voyage? prêt immobilier? Mieux vaut caler le timing des examens, des vaccins, et rassembler les pièces utiles (voir plus bas le « droit à l’oubli »).

Vous hésitez sur un examen? Utilisez ces règles rapides:

  • Sein après irradiation thoracique jeune: IRM annuelle obligatoire; mammographie discutée en complément.
  • Thyroïde: pas d’échographie « de routine » si examen et TSH normaux.
  • Poumon sans tabac: pas de scanner à faible dose de principe.
  • Coloscopie: oui si irradiation abdomino-pelvienne significative; sinon, suivez le dépistage standard par test immunologique selon votre pays.
  • Leucémie/MDS: aucun dépistage image; une NFS suffit, et surtout soyez à l’écoute des symptômes (fatigue inhabituelle, infections répétées, bleus).

Deux pièges fréquents à éviter:

  • Multiplier les scanners « pour se rassurer »: vous additionnez des rayons et vous trouvez des « incidentalomes » qui mènent à des gestes inutiles.
  • Attendre les symptômes pour le sein ou le côlon après irradiation: c’est précisément là où le dépistage précoce change la donne.

Et côté traitements modernes? Les anticorps (brentuximab) et les immunothérapies (nivolumab, pembrolizumab) n’ont pas montré à ce jour la même signature de cancers secondaires que les alkylants ou la radiothérapie, mais le recul est plus court. Les principes de prévention restent identiques: cibler le dépistage sur les expositions « classiques » et moduler au fil des années.

Vivre longtemps et sereinement: cas concrets, FAQ et prochaines étapes

Vivre longtemps et sereinement: cas concrets, FAQ et prochaines étapes

Chaque parcours est unique. Voici des scénarios fréquents, des réponses directes et des pistes d’action pour la suite.

Scénarios typiques et quoi faire

  • Femme, 28 ans au traitement, radiothérapie médiastinale, ABVD: commencez l’IRM mammaire annuelle à 25 ans ou 8 ans après l’irradiation (la date la plus tardive). Ajoutez un examen clinique 1-2 fois/an. Thyroïde: TSH + examen annuels.
  • Homme, 45 ans au traitement, ex-fumeur 25 PA, RT thoracique: éligible à un LDCT annuel selon votre âge et vos PA; sevrage maintenu, consultation tabac si envie de rechuter. Dermatologie annuelle sur le champ irradié.
  • Traitement par BEACOPP avec procarbazine: NFS annuelle pendant 5-10 ans. Si irradiation abdomino-pelvienne: coloscopie tous 5 ans à partir de 8-10 ans post-RT.
  • Aucun tabac, pas d’irradiation thoracique: pas de dépistage poumon. Restez sur peau/thyroïde ± côlon si irradiation abdominale.

Mini-FAQ

  • Le risque baisse-t-il avec le temps? Pour les leucémies secondaires, oui, surtout après 10 ans. Pour les cancers solides liés à la radiothérapie, le risque persiste et peut rester élevé au-delà de 30 ans. D’où l’importance d’un suivi durable.
  • La grossesse augmente-t-elle le risque? Non. La grossesse n’augmente pas le risque de récidive ni de second cancer. Elle peut être planifiée après validation par votre équipe, en tenant compte du cœur et des poumons si irradiés.
  • Puis-je prendre une contraception ou un THS? Oui, au cas par cas. Si irradiation thoracique jeune (risque sein), discutez des options non hormonales ou à faible dose, et ajustez selon votre dépistage mammaire.
  • Et si j’ai une mutation familiale (BRCA…)? Le suivi se cumule: appliquez à la fois les recommandations « Hodgkin » et celles liées à la mutation, souvent avec dépistage plus précoce et intensif.
  • Faut-il faire des bilans sanguins « complets » chaque année? Ciblez. Une NFS peut suffire dans les premières années après chimio intensive; pas besoin de panels denses si vous êtes asymptomatique.
  • Quelle différence entre cohortes anciennes et actuelles? Les champs/doses de RT se sont réduits et les schémas ont changé, ce qui diminue les risques à long terme. Si vous avez été traité(e) récemment, c’est un atout.
  • Qui coordonne mon suivi? En pratique, un binôme généraliste + hémato-oncologue. Demandez un plan écrit, daté, avec les examens et la fréquence.

Repères réglementaires et vie pratique (France, 2025)

  • Droit à l’oubli: en France, le délai est de 5 ans après la fin du protocole sans rechute pour les contrats d’assurance emprunteur. La maladie de Hodgkin entre dans ce cadre en 2025.
  • Vaccins: rattrapage possible; HPV recommandé chez les adolescents et jeunes adultes selon l’âge; discutez d’un schéma adapté si immunité fragilisée.
  • Emploi & assurances: gardez vos comptes rendus et votre plan de suivi. N’indiquez que ce qui est requis par la loi; faites-vous accompagner par des associations de patients si besoin.

Preuves et sources de confiance

Les recommandations des sociétés savantes (ESMO 2023, ASCO survivorship 2021-2023, NCCN survivorship 2024, Children’s Oncology Group LTFU v6.0 2023) convergent sur les grandes lignes partagées ici: dépistage sein ciblé par l’irradiation thoracique jeune, examen régulier de la thyroïde, coloscopie après irradiation abdomino-pelvienne, LDCT selon le tabac, et mise en avant du sevrage tabagique.

Checklist express « Mon prochain rendez-vous »

  • Ai-je mon résumé de traitement (chimio, champs/doses de RT)?
  • Quels dépistages me concernent (sein, thyroïde, peau, côlon, poumon)?
  • Dates prévues (12 prochains mois) pour chaque examen?
  • Plan de sevrage tabagique et ressources (consultation, substituts, appli)?
  • Vaccins à jour? (grippe, COVID, pneumocoque si indiqué, HPV si éligible)

Pro tips

  • Pour l’IRM mammaire, fixez-la toujours au même mois: vous ne l’oublierez pas.
  • Notez vos doses cumulées (doxo, alkylants): elles orientent aussi le suivi cardio, utile pour caler l’intensité de sport.
  • Photographie des grains de beauté (avant/après été) sur smartphone: simple et efficace pour repérer un changement.
  • Si vous devez faire une imagerie pour une autre raison, signalez votre histoire d’irradiation: on peut éviter de quadrupler les rayons.

Questions à poser à votre médecin

  • Compte tenu de mon dossier, quels dépistages sont vraiment essentiels cette année?
  • Ai-je reçu une irradiation au thorax/cou/abdomen, et à quelle dose?
  • Ai-je eu de la procarbazine/étoposide? Dois-je contrôler ma NFS plus souvent?
  • Je fume/ai fumé: suis-je éligible au scanner basse dose?
  • Pouvons-nous écrire un calendrier simple de 12 mois avec les dates cibles?

Next steps / Troubleshooting

  • Vous n’avez aucun papier de votre traitement: demandez au service d’hémato-oncologie un « résumé de fin de traitement ». En attendant, reconstituez via votre DMP/Mon Espace Santé et vos compte-rendus d’imagerie.
  • Vous avez peur des examens: commencez par ceux au meilleur ratio bénéfice/contraintes (ex. IRM mammaire si irradiée jeune, dermatologie annuelle). Planifiez, puis ajoutez le reste progressivement.
  • Vous êtes fumeur(se) et vous craquez: fixez une date d’arrêt réaliste, utilisez substituts et suivi hebdomadaire le premier mois. Un écart? On reprend le plan, sans culpabilité.
  • Vous changez de ville ou de médecin: mettez votre passeport de survivant au format PDF dans un cloud. Votre nouveau généraliste gagnera 6 mois.
  • Conflit d’avis entre spécialistes: demandez une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) ou un second avis dans un centre expert lymphomes.

Dernier mot: votre risque n’est pas celui des statistiques, c’est le vôtre. Avec un plan simple, des dépistages ciblés et quelques leviers de prévention, vous maximisez votre santé à long terme tout en gardant la vie simple.