Symptômes urémiques : nausées, démangeaisons et moment pour commencer la dialyse
Morgan DUFRESNE 19 novembre 2025 0 Commentaires

Quand vos reins ne fonctionnent plus comme il faut, votre corps se met à accumuler des déchets que vous ne devriez même pas avoir dans le sang. Ce n’est pas une simple fatigue. C’est bien plus grave. Les symptômes urémiques - nausées constantes, démangeaisons insupportables, perte d’appétit - sont des signaux d’alerte rouge. Ils veulent dire que vos reins ont presque cessé de filtrer. Et si vous les ignorez, vous risquez de vous retrouver à l’hôpital en urgence, avec des complications qui pourraient avoir été évitées.

Que sont vraiment les symptômes urémiques ?

La rétention de déchets azotés dans le sang, appelée urémie, n’est pas une maladie en soi. C’est le résultat d’une insuffisance rénale avancée. Vos reins, qui normalement éliminent l’urée, la créatinine et d’autres toxines, ne le font plus. Quand le taux d’urée dans le sang dépasse 60 mg/dL et que la créatinine franchit les 10 mg/dL, les symptômes commencent à apparaître. Ce n’est pas une question de chiffres abstraits : c’est votre corps qui crie.

Les deux symptômes les plus fréquents et les plus invalidants sont les nausées et les démangeaisons. Près de 68 % des patients en stade 5 d’insuffisance rénale chronique souffrent de nausées persistantes. Pour les démangeaisons, c’est encore plus large : entre 20 % et 70 % des patients en dialyse en sont affectés. Et ce n’est pas une simple peau qui gratte. C’est une douleur chronique, souvent pire la nuit, qui vous empêche de dormir, de travailler, de vivre normalement.

Pourquoi avez-vous mal au ventre et envie de vomir ?

La nausée urémique ne vient pas d’un estomac irrité. Elle vient du cerveau. Les toxines comme le sulfate de p-crésyl et l’indoxyl sulfate traversent la barrière hémato-encéphalique et stimulent une zone appelée « zone trigger » dans l’area postrema. C’est cette zone qui déclenche les vomissements. Ce n’est pas une indigestion. C’est une intoxication neuronale.

Les patients décrivent cela comme un goût métallique permanent dans la bouche, qui rend la nourriture repoussante. Certains disent que manger, c’est comme avaler du sable. Un patient sur Reddit a perdu 18 kilos en deux mois parce qu’il ne pouvait plus manger. Et ce n’est pas un cas isolé. Une étude de 2019 a montré que 92 % des patients qui développent des nausées urémiques les ressentent entre 6 et 12 semaines avant de commencer la dialyse. C’est un signal clair : votre corps ne supporte plus l’accumulation de déchets.

Les démangeaisons : un cauchemar invisible

Les démangeaisons liées à l’insuffisance rénale - qu’on appelle maintenant prurit associé à la maladie rénale chronique (CKD-aP) - ne sont pas une simple peau sèche. Elles sont liées à une inflammation systémique. Les patients atteints ont des taux de protéine C-réactive (CRP) deux fois plus élevés que ceux qui n’en souffrent pas. Cela signifie que votre corps est en état d’alerte constante, même si votre peau semble normale.

La plupart du temps, les démangeaisons sont bilatérales, symétriques, et touchent les bras, les jambes, le dos. Elles s’aggravent la nuit. Une étude montre que 76 % des patients ne dorment plus. Certains se grattent jusqu’au sang. Un patient sur le forum de l’American Kidney Fund a vu son score de sommeil tomber de 85 à 42 sur son Fitbit pendant six mois. Il a fallu trois ans avant qu’il trouve un traitement qui fonctionne.

Le diagnostic n’est pas simple. Il faut éliminer 12 autres causes possibles : maladie du foie, troubles sanguins, problèmes psychologiques. L’outil validé pour mesurer la gravité, c’est l’échelle des 5 D : Durée, Degré, Direction, Désabilité, Distribution. Un score supérieur à 12 signifie une démangeaison sévère. Un score de 15 ou plus, c’est un critère d’urgence pour commencer la dialyse.

Patient insomniaque se grattant violemment la peau, avec une montre de sommeil indiquant un score bas.

Quand faut-il vraiment commencer la dialyse ?

Il y a vingt ans, on attendait que les patients soient au bord du coma pour les mettre en dialyse. Aujourd’hui, les règles ont changé. La grande question n’est plus seulement : « Quel est votre taux de filtration ? » mais : « Quelle est votre qualité de vie ? »

Les recommandations de 2023 de la KDOQI (National Kidney Foundation) disent clairement : commencez la dialyse quand les symptômes deviennent résistants aux traitements conservateurs. Cela signifie : si vous perdez plus de 5 % de votre poids en trois mois à cause des nausées, si vos démangeaisons vous empêchent de dormir et de travailler, ou si vous avez un prurit score >15 sur l’échelle des 5 D - alors il est temps, même si votre taux de filtration (eGFR) est encore à 10,5 mL/min/1,73m².

Le célèbre essai IDEAL a montré qu’il n’y a pas de différence de survie entre ceux qui commencent tôt (eGFR 10-14) et ceux qui commencent tard (eGFR 5-7). Mais il y a une différence énorme en qualité de vie. Les patients qui attendent jusqu’à ce que les symptômes soient intolérables, mais qui sont bien pris en charge en attendant, ont 32 % moins de gêne quotidienne.

La vérité, c’est que vous ne devez pas attendre d’être à l’agonie. Si vous avez des nausées qui vous empêchent de manger, ou des démangeaisons qui vous rendent fou, vous avez le droit de demander la dialyse. Ce n’est pas une faiblesse. C’est une décision médicale rationnelle.

Comment soulager les symptômes avant la dialyse ?

La dialyse n’est pas la seule solution. Avant de la commencer, il existe des options pour réduire la souffrance.

Pour les nausées : le premier traitement est l’ondansétrone (4 mg trois fois par jour). Si ça ne suffit pas, on peut essayer le dompéridone, mais attention : il peut allonger l’intervalle QT et causer des troubles du rythme cardiaque. Une étude montre une augmentation moyenne de 28,4 ms. Ce n’est pas anodin.

Pour les démangeaisons : la première étape, c’est d’optimiser la dialyse - même si vous n’êtes pas encore en dialyse, un meilleur nettoyage sanguin peut aider. Ensuite, on commence par le gabapentin : 100 mg le soir, puis jusqu’à 300 mg trois fois par jour. Si ça ne marche pas, on passe à des traitements plus ciblés comme le nalfurafine (2,5 μg par jour) ou le difelikefalin (injection trois fois par semaine). Le difelikefalin a réduit les démangeaisons de 32,7 % dans les essais cliniques, avec un effet en moins de 48 heures.

Les patients qui ont essayé ces traitements disent souvent : « J’ai dormi pour la première fois depuis des années. »

Médecin expliquant qu'une mauvaise qualité de vie justifie la dialyse, malgré un eGFR encore acceptable.

Les nouveaux traitements en vue

La recherche avance vite. En 2023, la FDA a approuvé le nemifitide, un nouveau médicament qui agit sur les récepteurs opioïdes kappa. Dans les essais, il a réduit les démangeaisons de 45 % de plus que le placebo. Ce n’est pas encore disponible partout, mais c’est une avancée majeure.

La prochaine version des recommandations de la KDIGO, prévue pour 2024, devrait intégrer les mesures rapportées par les patients (PROMs) comme critère principal pour déclencher la dialyse. Cela veut dire que votre ressenti - votre douleur, votre sommeil, votre capacité à manger - sera plus important que les chiffres de laboratoire.

Un problème de justice santé

Malheureusement, tout le monde n’a pas accès au même niveau de soins. Une étude de 2023 a montré que les patients noirs attendent en moyenne 3,2 mois de plus que les patients blancs avant de commencer la dialyse, même quand ils ont les mêmes symptômes. Et ça, c’est une injustice. Ces délais augmentent les hospitalisations de 18 %. Cela ne devrait pas arriver.

Le NIH a alloué 47 millions de dollars en 2023 pour chercher des traitements non opioïdes, parce que 39 % des prescriptions de gabapentin dépassent les doses sûres pour les reins. On ne peut plus se contenter de traiter les symptômes avec des médicaments qui risquent d’endommager davantage les reins.

Que faire si vous avez ces symptômes ?

Si vous avez une insuffisance rénale chronique et que vous ressentez :

  • Des nausées qui vous empêchent de manger depuis plus de 3 semaines
  • Des démangeaisons intenses, surtout la nuit, qui durent depuis plus de 6 semaines
  • Un perte de poids non expliquée
  • Un goût métallique permanent dans la bouche

Ne vous dites pas : « Ce n’est peut-être que de la fatigue. »

Prenez rendez-vous avec votre néphrologue. Montrez-lui vos symptômes. Parlez de votre sommeil, de votre alimentation, de votre qualité de vie. Demandez à remplir l’échelle des 5 D pour les démangeaisons. Si vous êtes dans le rouge, vous avez le droit à la dialyse - pas parce que vos chiffres sont bas, mais parce que vous souffrez.

La dialyse n’est pas une défaite. C’est une seconde chance. Et vous méritez de la demander avant d’être au bord du précipice.

Les nausées urémiques disparaissent-elles après le début de la dialyse ?

Oui, dans la majorité des cas. La dialyse élimine les toxines responsables de la stimulation du centre de vomissement dans le cerveau. En moyenne, 80 % des patients voient une amélioration significative des nausées dans les deux à quatre semaines suivant le début de la dialyse. Cependant, si les nausées persistent, il faut vérifier la qualité de la dialyse (Kt/V), la prise de médicaments et l’apport alimentaire. Une dialyse insuffisante peut continuer à laisser des toxines dans le sang.

Pourquoi les démangeaisons sont-elles pires la nuit ?

Plusieurs facteurs expliquent cela. D’abord, la température corporelle augmente légèrement la nuit, ce qui active les récepteurs de la douleur et de la démangeaison. Ensuite, les niveaux de cortisol, une hormone anti-inflammatoire, baissent pendant la nuit, ce qui amplifie l’inflammation. Enfin, sans distractions (travail, activités), vous êtes plus conscient de la douleur. Les études montrent que 76 % des patients ressentent une aggravation nocturne, ce qui rend le sommeil presque impossible.

Est-ce que les démangeaisons peuvent être causées par autre chose que les reins ?

Oui, et c’est pourquoi le diagnostic est délicat. D’autres causes possibles incluent les maladies du foie (comme la cholestase), les troubles thyroïdiens, les infections fongiques, les réactions allergiques, les troubles psychiatriques comme l’anxiété, ou même certains médicaments. Le diagnostic de prurit urémique n’est fait qu’après avoir éliminé 12 causes alternatives, selon les critères de l’International Forum for the Study of Itch. C’est pourquoi il est essentiel de faire des examens complets avant d’attribuer les démangeaisons à l’insuffisance rénale.

La dialyse peut-elle aggraver les démangeaisons ?

Dans certains cas, oui. Les patients peuvent ressentir une aggravation temporaire des démangeaisons pendant ou juste après la séance de dialyse. Cela peut être dû à un changement rapide des taux de calcium, de phosphore ou à une réaction inflammatoire provoquée par le contact du sang avec les membranes de la machine. Cela ne signifie pas que la dialyse est inefficace, mais qu’il faut ajuster le protocole : changer le type de membrane, optimiser les doses d’anticoagulants, ou ajuster la température du dialysat. Un bon suivi néphrologique permet de corriger cela.

Faut-il toujours attendre que l’eGFR tombe à 5 pour commencer la dialyse ?

Non. Les directives modernes (KDOQI 2023) recommandent de ne pas se fier uniquement à l’eGFR. Si vous avez des symptômes urémiques invalidants - nausées persistantes, perte de poids, prurit sévère - la dialyse peut et doit être initiée même si votre eGFR est à 8 ou 9. La qualité de vie prime sur les chiffres. L’essai IDEAL a prouvé qu’il n’y a pas de bénéfice de survie à commencer tôt, mais il y a un énorme bénéfice en bien-être. Votre souffrance est un critère médical légitime.