Personnes âgées sous ISRS : prévenir l'hyponatrémie et les chutes
Maxime Dezette 19 novembre 2025 0 Commentaires

Les ISRS sont courants chez les personnes âgées - mais ils cachent un risque silencieux

Près d’une personne âgée sur cinq aux États-Unis prend un antidépresseur de la famille des ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine). En France, la tendance est similaire : ces médicaments sont prescrits pour la dépression, l’anxiété, ou même les douleurs chroniques. Mais derrière leur efficacité, se cache un danger méconnu : l’hyponatrémie. C’est une baisse du taux de sodium dans le sang, souvent invisible, qui peut mener à des chutes, une confusion, voire un coma. Et les personnes âgées sont particulièrement vulnérables.

Pourquoi ? Parce que leur corps change. Moins d’eau dans les tissus, une fonction rénale plus lente, une régulation hormonale altérée… Tout cela rend leur organisme incapable de gérer correctement l’excès d’eau causé par les ISRS. Ce phénomène s’appelle le SIADH (syndrome d’ sécrétion inappropriée d’ADH). Le rein retient trop d’eau, le sodium se dilue, et les symptômes apparaissent - souvent trop tard.

Comment l’hyponatrémie se manifeste chez les personnes âgées ? Pas comme vous le pensez

On imagine souvent une hyponatrémie avec nausées, vomissements ou crampes. Mais chez les seniors, elle se cache. Elle se traduit par une marche instable, une fatigue soudaine, une confusion passagère, ou des étourdissements. Ces signes, on les attribue souvent au vieillissement normal. Or, ils sont les premiers avertissements d’un déséquilibre électrolytique grave.

Et ce n’est pas anecdotique : une baisse de sodium de seulement 5 mmol/L peut suffire à augmenter le risque de chute de 30 à 40 %. Une chute, chez une personne de 75 ans, peut entraîner une fracture du col du fémur, une hospitalisation longue, une perte d’autonomie, voire la mort. Pourtant, 30 à 40 % des cas d’hyponatrémie liés aux ISRS sont asymptomatiques au début. C’est pourquoi la détection précoce n’est pas une option - c’est une nécessité.

Quels ISRS sont les plus dangereux ? Pas tous sont égaux

Tous les ISRS ne se valent pas en termes de risque d’hyponatrémie. Certains sont bien plus problématiques que d’autres.

  • Fluoxétine : le plus risqué, avec un taux d’hyponatrémie de 6,51 % chez les seniors.
  • Paroxétine et citalopram : risques élevés, surtout à doses élevées.
  • Escitalopram : un peu moins risqué que le citalopram, mais toujours à surveiller.
  • Sertraline : risque modéré, souvent préférée pour les personnes âgées.

Et si on parle des SNRIs (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la norépinéphrine), venlafaxine est le plus à risque. Elle n’est pas un ISRS, mais elle est souvent prescrite dans les mêmes cas, et son risque est presque aussi élevé.

En comparaison, mirtazapine (un antidépresseur atypique) présente un risque quasi nul d’hyponatrémie. Bupropion, un autre antidépresseur différent, est aussi une bonne alternative. Leur efficacité n’est pas toujours identique, mais leur sécurité est bien supérieure.

Les médicaments qui amplifient le risque : attention aux associations

Le vrai piège, ce n’est pas seulement l’ISRS lui-même - c’est ce qu’on lui associe.

Les diurétiques thiazidiques (comme l’hydrochlorothiazide), très courants chez les seniors pour traiter l’hypertension, multiplient le risque d’hyponatrémie par 1,24 à 1,27 quand ils sont pris avec un ISRS. C’est un double coup : le diurétique élimine du sodium, et l’ISRS retient de l’eau. Résultat : le sodium chute en cascade.

Autre combinaison dangereuse : les ISRS + antipsychotiques ou certains médicaments contre l’épilepsie. Tous ces médicaments agissent sur les mêmes récepteurs hormonaux. Leur effet combiné est plus que la somme de leurs risques individuels.

Un bon médecin vérifie toujours la liste complète des médicaments avant de prescrire un ISRS. Pas seulement la dépression - la totalité du traitement.

Médecin montrant un résultat de sang dangereux à un patient âgé, avec des médicaments enchaînés.

Que faire avant et après la prescription ?

Voici ce qu’il faut faire concrètement :

  1. Avant de commencer : faire une prise de sang pour mesurer le taux de sodium. Si c’est déjà en dessous de 140 mmol/L, réfléchir à un autre traitement.
  2. Deux semaines après le début : refaire une analyse de sodium. C’est le moment où l’hyponatrémie apparaît le plus souvent.
  3. À chaque ajustement de dose : même si la dose augmente légèrement, refaire une prise de sang.
  4. Éduquer le patient : lui dire clairement : « Si vous vous sentez plus faible, que vous avez des étourdissements en vous levant, ou que vous marchez moins bien, appelez votre médecin. Ce n’est pas normal. »

Une étude à l’hôpital Johns Hopkins a montré que quand ces étapes sont suivies, les visites aux urgences liées à l’hyponatrémie baissent de 22 %. Ce n’est pas une révolution - c’est du bon sens.

Un paradoxe inquiétant : surveiller ne suffit pas

Voici le problème le plus troublant : une étude publiée en 2023 dans le Journal of the American Geriatrics Society a montré que même quand les médecins font les analyses de sodium à temps, cela ne réduit pas le nombre d’hospitalisations pour hyponatrémie.

Pourquoi ? Parce que détecter n’est pas guérir. Il faut savoir quoi faire après. Beaucoup de médecins ne savent pas comment gérer une hyponatrémie légère. Ils attendent, ou pire, augmentent la dose d’ISRS en pensant que c’est un échec du traitement. Or, la bonne réponse, c’est d’arrêter ou de changer le médicament - pas de continuer.

Les protocoles existent. Les outils informatiques dans les hôpitaux peuvent alerter les médecins quand un ISRS est prescrit avec un diurétique. Mais dans la pratique, 68 % des médecins gériatriques disent que ces alertes sont ignorées, faute de temps, de formation, ou de systèmes mal intégrés.

Les alternatives : ce qu’il faut envisager

Si un patient a déjà eu une hyponatrémie, ou s’il est à risque (femme, maigre, âgé, sous diurétique), il faut penser à d’autres options :

  • Mirtazapine : efficace pour la dépression, le sommeil, et l’appétit. Presque aucun risque d’hyponatrémie.
  • Bupropion : bon pour la motivation, moins pour l’anxiété. Pas de risque d’hyponatrémie.
  • Thérapie cognitivo-comportementale (TCC) : efficace pour la dépression légère à modérée. Moins accessible en milieu rural, mais très sûre.
  • Activité physique régulière : marche, tai-chi, natation. Réduit la dépression et les chutes en même temps.

Le vrai défi, ce n’est pas de trouver un médicament plus sûr. C’est de sortir du réflexe « médicament d’abord ». Pour beaucoup de seniors, une bonne écoute, un suivi psychologique, et un peu d’activité suffisent.

Femme âgée faisant du tai-chi dans un jardin, entourée d'alternatives sûres à la médication.

Les chutes : un risque directement lié à l’hyponatrémie

Il n’existe pas encore de chiffre exact qui relie directement l’hyponatrémie causée par un ISRS au nombre de chutes. Mais les preuves sont convaincantes :

  • Les études montrent que l’hyponatrémie affaiblit la coordination musculaire.
  • La confusion et les étourdissements augmentent les chutes en position debout.
  • Les cas rapportés par les associations de patients montrent des fractures de la hanche après des chutes survenues quelques jours après un changement de traitement.

En 2024, les nouvelles lignes directrices de la Société américaine de gériatrie recommandent désormais de prendre en compte l’historique des chutes dans le choix de l’antidépresseur. C’est une avancée majeure. Si une personne est tombée deux fois l’année dernière, prescrire un ISRS risqué, c’est jouer avec le feu.

Que faire maintenant ?

Si vous ou un proche prenez un ISRS :

  • Demandez : « Avez-vous vérifié mon taux de sodium ? Quand ? »
  • Ne laissez pas passer les étourdissements ou la faiblesse : ce n’est pas « juste de l’âge ».
  • Évaluez les autres médicaments : avez-vous un diurétique ? Un antihypertenseur ?
  • Parlez de mirtazapine ou de bupropion si vous avez peur des effets secondaires.
  • Pratiquez une activité physique douce chaque jour - cela protège contre les chutes et améliore l’humeur.

Les ISRS ont sauvé des vies. Mais ils peuvent aussi en prendre, silencieusement. La clé, c’est la vigilance - pas la peur. Une prise de sang simple, une conversation avec son médecin, et une attention aux signaux du corps peuvent éviter bien plus qu’une hospitalisation. Ils peuvent préserver l’autonomie, la dignité, et la vie.

Les ISRS sont-ils vraiment dangereux pour les personnes âgées ?

Ils ne sont pas dangereux en soi, mais ils présentent un risque accru d’hyponatrémie chez les seniors, surtout si elles ont moins de 60 kg, prennent des diurétiques, ou ont déjà un taux de sodium bas. Ce risque est bien documenté, et il peut être évité avec un suivi adapté.

Quand faut-il faire une prise de sang après le début d’un ISRS ?

Il faut faire une prise de sang pour mesurer le sodium deux semaines après le début du traitement, et à chaque ajustement de dose. C’est à ce moment-là que l’hyponatrémie apparaît le plus souvent. Ne pas attendre les symptômes.

La mirtazapine est-elle vraiment plus sûre que les ISRS ?

Oui. La mirtazapine n’active pas le système de rétention d’eau du rein, donc elle ne cause presque jamais d’hyponatrémie. Elle est souvent plus efficace pour les seniors qui ont aussi des problèmes de sommeil ou d’appétit. Ce n’est pas un ISRS, mais c’est un antidépresseur efficace et bien toléré.

Puis-je arrêter mon ISRS si j’ai peur des chutes ?

Ne l’arrêtez pas seul. Un arrêt brutal peut provoquer des symptômes de sevrage. Parlez à votre médecin : il peut vous aider à passer à un médicament plus sûr, ou réduire la dose progressivement. La sécurité est plus importante que la continuité du traitement.

Les diurétiques sont-ils interdits avec les ISRS ?

Non, mais ils doivent être utilisés avec une extrême prudence. Si vous prenez les deux, votre médecin doit surveiller votre sodium plus souvent. Dans certains cas, remplacer le diurétique thiazidique par un autre type (comme un diurétique de l’anse ou un antagoniste des récepteurs de l’aldostérone) peut réduire le risque.

Existe-t-il des outils pour aider les médecins à éviter ces risques ?

Oui. Plus de 120 hôpitaux aux États-Unis utilisent des systèmes informatiques qui alertent automatiquement les médecins quand un ISRS est prescrit avec un diurétique ou chez un patient à risque. Ces outils ont réduit les prescriptions à risque de 18,7 %. En France, ils commencent à être déployés dans les grands centres hospitaliers.

Prochaines étapes : ce que vous pouvez faire dès maintenant

Si vous êtes un patient âgé ou un proche :

  • Consultez votre liste de médicaments avec votre pharmacien ou médecin. Vérifiez si vous prenez un ISRS ET un diurétique.
  • Demandez à ce que votre taux de sodium ait été mesuré dans les 15 derniers jours.
  • Notifiez votre médecin si vous avez eu une chute récente, même mineure.
  • Essayez une activité physique douce 3 fois par semaine : marche, tai-chi, ou aquagym. Cela améliore l’équilibre, l’humeur, et réduit les chutes.

Si vous êtes un professionnel de santé :

  • Intégrez la mesure du sodium dans votre protocole de prescription des ISRS.
  • Privilégiez la mirtazapine ou le bupropion pour les patients à risque.
  • Éduquez vos patients : « Une marche instable n’est pas une fatalité de l’âge - c’est un signal d’alerte. »

La médecine du vieillissement ne se résume pas à prescrire des médicaments. Elle se construit sur l’écoute, la vigilance, et la prévention. Et parfois, la meilleure prescription, c’est de ne pas prescrire - ou de choisir autrement.